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Partie I
Le thème que j’ai choisi pour ce quatrième numéro traite d’un sujet insolite : Le voyage en ces temps reculés du Moyen Age. Comme ce thème est intéressant et plantureux, j’ai décidé de diviser mon propos en deux parties, la première figurant ci-dessous, la deuxième sera publiée au prochain numéro de MéluZine.
Au Moyen Age, on ne voyage guère,
du moins dans le sens où on l’entend actuellement (un mouvement
vers un lieu éloigné ). Enfin, je triche un peu car le terme
de voyage
(1) est bien utilisé mais il a un sens très
limité. On l’utilise seulement par désigner les pèlerinages
(2) et les expéditions militaires. Cette utilisation
restrictive reflète bien un monde médiéval assez sédentaire.
Car pour le commun des mortels, les déplacements sont souvent très
limités dans l’espace, le travail, les loisirs, la vie tout court
se déroulent dans un environnement limité à 5-10 km
environ. Pour la grosse majorité des paysans, la vie se circonscrit
aux limites du terroir, entendez, le village et les champs qui l’entourent.
En somme, l’espace de vie est borné à l’horizon. On naît
dans son village, on y meurt le plus souvent. Certes, on « sort
» de temps à autre pour aller au marché du coin vendre
son surplus de récolte, pour moudre son blé au moulin, ou
pour convoler avec une fille d’un village voisin. Mais les déplacements
sont toujours courts. Autant vous dire que pour la très grosse majorité
de la population, le terme de voyage n’a strictement aucun sens.
Cependant, si le monde médiéval
paraît relativement sédentaire, il n’est en rien inerte, loin
s’en faut, car ça grouille de partout, ça bouge de façon
incessante, mais dans un espace limité, tout bonnement.
Cependant, le Moyen Age est un monde
réellement en mouvement, mais l’idée à retenir ici, c’est
que le fait de voyager n’est pas accessible à tout le monde. Alors
qui voyage au Moyen Age ?
I : Qui voyage au Moyen Age ? |
Des marchands évidemment qui
sont les premiers concernés (Au début du Moyen Age, On les
nommait les « pieds poudreux » ) ; Des artisans qui font leur
compagnonnage, des colporteurs, plus rarement des brasiers/ouvriers agricoles
qui cherchent du travail, mais surtout, des chevaliers et des clercs. Ce
sont les classes aisées qui voyagent le plus. Plus haut on est situé
dans la hiérarchie sociale, plus souvent on voyage.
Figure 1: Le colporteur, l'un des voyageurs emblématiques du Moyen Age. |
Pour la chevalerie, les causes des voyages paraissent évidentes : expéditions militaires, tournois, sans compter les jeunes écuyers ou cadets qui vagabondent à la recherche d’un seigneur. La chevalerie est volontiers errante d’autant plus qu’on considère que le voyage apporte aventures donc renommée. Un bon chevalier est celui qui a vu du pays. N’oublions pas non plus qu’à l ‘époque, pour être connu, donc reconnu, il faut se faire voir. Se déplacer, c’est tenir son rôle de seigneur. Quant au clerc, le voyage est une obligation car l’homme d’église se doit de répandre la bonne parole, donc de se déplacer auprès de ses ouailles. On n’oubliera pas non plus, dans ce tableau très rapide et succinct des gens concernés par le voyage, quelques cas singuliers. Le pèlerin dont le visage est familier qui parcours les routes à la recherche de son salut (ou de celui d’un autre), et plus la route est difficile, plus elle conduit à Dieu. De même, vous avez les voyageurs forcés. Pour reprendre le cas des pèlerins, vous avez l’exemple de ce Martin Blondel (un ancêtre de qui vous savez ?) qui, en 1367, est condamné à faire un pèlerinage à Notre-Dame de Boulogne-sur-Mer pour avoir « juré le vilain serment, craché et vilipendé la croix, rompu deux images dont l’une de Dieu… ». Autre exemple, le poète François Villon ( l’auteur du « le Bal des pendus » ) qui, après avoir tué un prêtre à Paris, est contraint de fuir en Anjou. |
Bref, en somme, si le monde du médiéval
est quelque peu sédentaire, on rencontre quand même beaucoup
de monde sur les routes.
II : Les conditions du voyage |
Je serais tenté de dire, on voyage comme on peut ! Car si pour nous, prendre la voiture pour aller serrer la pince à une connaissance, c’est du domaine du banal, au Moyen Age, tout voyage est une vraie aventure.
Figure 2 : La route au Moyen Age est le plus souvent un chemin comme le montre cette illustration. Le chemin rendu boueux par la pluie ne facilite pas les déplacements. © Hermann, Les tours du Bois-Maury, T3, Glénat |
1-
Par quels moyens ?
Pour la grosse majorité, le voyage
s’effectue à pieds. Pour quelques-uns, c’est une obligation comme
les pèlerins qui sont parfois carrément pieds nus. Sinon
évidemment, on a recours à un équidé : mule,
âne, cheval. Notons que selon le rang social, on n’utilise pas le
même cheval : Le Palefroi est un cheval de parade ; le destrier le
cheval pour guerroyer ; alors que le roncin est le cheval de labour pour
les paysans. De même, on ne répétera jamais assez qu’un
cheval n’est pas accessible à tout le monde ( trop cher ).
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2- Les contraintes :
Voyager au Moyen Age est contraignant, ce n’est pas une mince affaire , loin s’en faut. Les moyens de transport ne sont guère rapides, les distances sont incroyablement longues, et une série d’obstacles voire de dangers guettent le voyageur. Dites-vous bien que quelqu’un qui s’apprête à un long voyage sera bien avisé de faire son testament.
Voyager seul ?
Dans tous les cas, on ne voyage jamais seul au Moyen Age sauf dans des cas très particuliers (ermites, pèlerins…). Du moins, cela dépend du rang social : plus on est haut, moins on voyage seul. Un baron se déplace avec sa cour, un chevalier avec son écuyer, un marchand avec ses congénères. Se déplacer seul, c’est vulgaire ! C’est du domaine des vilains, dans tous les cas, c’est dangereux. Toute personne qui voyage seule est suspecte. Dans le même raisonnement, on évite de voyager la nuit.
Les distances ?
L’une des principales contraintes des
voyages est la distance. Les voyages sont longs voire franchement interminables.
Certes tout dépend de la destination mais un trajet se calcule très
souvent en semaines ou en mois.
Il est très difficile pour nous
de considérer à sa juste valeur l’importance que revêtait
la notion de distance au Moyen Age. Prenons l’exemple, un peu particulier,
d’Eudes Rigaud archevêque de Rouen. Ce dernier décide d’accomplir
un voyage à Rome accompagné d’une dizaine de personnes (souvenez-vous,
on voyage rarement seul ). Il part le 29 décembre 1253 de Rouen
et arrive à Rome le 11 mars 1254 ! Il a mis trois mois pour faire
1800 km. Au retour, plus pressé, il met 2 mois (1700 km). Il revient
donc à Rouen en septembre 1254. Le voyage lui prend au total 5 mois,
plus le temps qu’il passe à Rome. Il s’est donc absenté pendant
9 mois ! ! De tels voyages ne sont pas rares au Moyen Age et le trajet
n’est pas toujours une partie de plaisir (il a frôlé un naufrage
).
En bateau, ce n’est guère mieux.
En dehors du fait qu’un voyage sur les flots est toujours dangereux, le
trajet peut s’éterniser. Un navire partie de Jaffa (port situé
au Liban actuel ) le 13 août arrive à Venise le 23 octobre
soit deux mois plus tard ! !
Certes, les vitesses sont très
variables. Certains voyageurs « professionnels » comme les
courriers / messagers royaux parcourent jusqu’à 150 km par jour.
En 1381, le messager qui apporte au roi Charles VI une nouvelle d’Avignon
met trois jours pour faire 600 km ! Un cas pareil est exceptionnel. En
général, un courrier rapide fait 100 km par jour, deux fois
moins si le relief est important. Si on reprend le cas d’Eudes Rigaud,
la moyenne générale est de 33 km par jour. Mais il fait parfois
des pointes de 60 km par jour.
Evidemment, la vitesse varie selon
la « profession », un homme de guerre « filera »
à 45 km par jour alors qu’un marchand qui doit traîner sa
carriole de produits fait du 30 km/jour.
Les obstacles :
Le premier obstacle est la nature. Une
montagne, un escarpement, voire un simple cours d’eau peuvent constituer
de vrais obstacles. La forêt, qui domine encore les paysages, peut
s’avérer être très difficile à traverser.
Mais le principal obstacle sont les
hommes, j’entends par-là les taxes et l’insécurité
:
* Les taxes : toute route digne de
soi est automatiquement taxée ! Ces taxes, qu’on appelle douanes
ou tonlieu, représentent une ressource importante pour les seigneurs.
Une route a d’autant plus de chances d’être taxée si elle
est parcourue par des marchands. Les péages frappent aussi les ponts
voire tout bonnement les entrées des villes. Bref, de voyager, ça
peut coûter cher.
* L’insécurité : J’ai
déjà spécifié que voyager au Moyen Age pouvait
être une entreprise périlleuse. Les routes ne sont pas sures,
loin s’en faut, et voyager seul est assez suicidaire. Car les brigands
restent redoutables au Moyen Age.
Les anecdotes ne manquent pas de brigands,
pillards, écorcheurs, routiers, coupeurs de gorge ou de bourses,
ribauds qui écument les routes et n’hésitent pas à
violer ou à tuer. Tel ce « gang » dit des Coterels
qui sévit dans le sud de l’Angleterre entre 1328 et 1333 et qui
enlèvent des voyageurs contre rançons (surtout les hommes
d’église). Ou ce gang des « Ecorcheurs » du milieu du
XIVème siècle qui terrorisent une région entière.
Ai-je besoin de préciser, au regard de leur nom, ce qu’ils réservaient
aux pauvres victimes qui croisaient leurs routes? ! Ou le routier Mérigot
Marchès, chef de bande, exécuté pour ses méfaits,
qui parcourait les routes à la recherche d’une victime à
écumer. Voyez Jean de la Porte, brigands notoire, qui dans les années
1440 est condamné pour avoir « couru et espié chemins,
foires et marchiès, destroussé et desrobé gens d’église,
et marchands et autres… ». Il ne faut pas croire que ces brigands
sont tous des marginaux, vagabonds ou des gens poussés par la pauvreté.
Certains brigands sont des seigneurs qui possèdent terres et châteaux.
Mérigot Marchès par exemple possédait un château,
véritable repère de pillards, dans le Limousin à partir
duquel il partait en « expédition » avec ses congénères
dans l’espoir de trouver quelqu’un a détrousser.
Notons que l’insécurité
dépend de la fonction : les principales victimes sont bien sûr
les marchands, mais les hommes d’Eglise ne sont pas à l’abri d’agression
.
On comprendra l’importance pour les
voyageurs de s’accompagner d’une escorte ou d’obtenir ce qu’on appelle
un « Sauf-conduit ». Ce dernier est bien souvent un document
(mais parfois une escorte) délivré par un seigneur qui accorde
sa protection à celui qui le porte.
[…]
Suite au prochain numéro
Milam
Notes :
1 - Voyage, du latin « Viaticum
» = provisions de route, qui lui-même vient du mot «
Via »=chemin, route.
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2 - Au XIIème siècle,
le terme « Voiage » désigne un pèlerinage.
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