Les Tournois

( Article réalisé dans le cadre du fanzine MéluZine, décembre 99 )


I.
Les origines
II.
Le déroulement
III.
Les intérêts des tournois
IV.
L'évolution des tournois


I > Les origines

L'origine des tournois est difficile à déterminer. Pour dire vrai, on n'en connaît pas exactement la date d'apparition. Disons pour simplifier qu'on penche pour le milieu du XIème siècle et que les premiers documents qui en font référence datent du début du XIIème siècle. Les tournois sont donc en gros apparus entre 1050 et 1100, et ceci dans le royaume de France (les textes parlent du " Conflictus Gallicus " ).

D'un point de vue étymologique, le mot " tournois " vient du latin " Torneamentum " qui a des parentés évidentes avec les mots " tourner " ou " tournoyer ". Ce terme doit faire référence au mouvement effectué par les combattants après leur charge pour en préparer une autre. Une deuxième explication souligne l'errance des chevaliers qui " tournent " de lieux en lieux pour participer aux différents tournois.

II > Le déroulement (XI-XIIIème siècles ):

- Où ?

Les tournois ne sont pas pratiqués partout, loin de là. Ils sont par exemple très longtemps interdits en Angleterre, de fait, tel chevalier " angle " qui veut s'y adonner est obligé de traverser la Manche. Le terre de prédilection pour les tournois est résolument le royaume de France.

Mais à l'intérieur de ce dernier, on est frappé aussi par le fait que les tournois ne se déroulent pas n'importe où. Ils se situent dans la très grande majorité des cas dans les " Marches ", entendez, aux périphéries des grandes principautés. Hormis quelques exceptions, tous les tournois se déroulent dans les " confins ", sur les lisières, aux limites des grands domaines.

On tournoie plus souvent qu'on ne le pense. Pour certaines sources, on tournoie " presque chaque semaine ". Il n'est pas improbable qu'en temps de paix, des tournois se tiennent tous les 15 jours. On évite cependant l'hiver, et évidemment, les tournois n'ont pas lieu pendant les périodes de " vacances " (au sens propre, pâques, Toussaint, Avent etc...). Bien sûr, tout le monde ne participait pas à chaque rencontre mais certains tournois ont acquis une vraie notoriété et ils attiraient la foule ( à Lagny, en Champagne, jusqu'à 3000 chevaliers ! ! Sans compter les " vils ", c'est-à-dire, les piétons et mercenaires qui devaient être autant ! Sans compter non plus les filles de joie, les marchands, les badauds etc....disons 7 à 8000 individus en tout...un beau désordre  !).

- Qui ?

Ceux qui tournoient appartiennent évidemment à la société " aristocratique " qui guerroie. Cependant, il faut préciser que dans les tournois, simulacre de bataille, on trouve des piétons qui appartiennent aux classes " de basses naissances ", autrement dit, il n'y a pas que des nobles dans les tournois. Si on y voit de grands seigneurs ou hauts barons (Comte de Boulogne, duc de Bourgogne...), les rois n'y participent jamais. On y voit beaucoup de " bacheliers " (des jeunes chevaliers, encore errants ).

Les participants viennent de tous les horizons du royaume de France. Certes, on trouve bien des anglais, mais un chevalier écossais par exemple passe pour exotique.

- Déroulement :

Chaque tournois est en général annoncé 15 jours avant. Il se déroule normalement sur trois jours.

- Le 1er jour sont les préparatifs, les arrivés et la formation des groupes.

Arrivent les participants, jeunes chevaliers errants ou bacheliers, cadets, grands seigneurs accompagnés de leur " maison ", entendez, de leurs vassaux. On vient isolé (pour les jeunes ) ou " bannerets " (un chevalier qui porte " bannière ", qui vient avec un groupe d'autres chevaliers qui se rangent sous son enseigne, les grands " barons " en général ).

J'en profite pour clarifier une chose importante : Le tournois est une véritable bataille simulée. Or, comme dans toutes les batailles, le tournois oppose deux camps, deux armées, formées non seulement de chevaliers ou d'écuyers, mais aussi de piétons, de piquiers voire même d'archers. On a trop souvent tendance à croire que le tournois ne réunit que des chevaliers armurés jusqu'aux dents. C'est faux, la piétaille est aussi de la partie et son rôle ne saurait être ignoré (quoique j'aie mal à saisir le rôle des archers ).

Quoiqu'il en soit, le tournois disais-je oppose deux camps composés de plusieurs groupes. Les participants sont libres de rallier le groupe qu'ils veulent. Les groupes se créent selon diverses affinités, l'une d'entre elle est le regroupement par " nation ", on se regroupe entre " normands ", " angevins ", " anglais ", " bretons " etc...tout en précisant que, comme le foot actuellement, ces équipes n'ont rien de nationale puisque chez les " anglais ", on trouve aussi bien des " français ", que des " flamands " etc...

Notons aussi qu'une véritable compétition pouvait opposer dès le départ les groupes pour acquérir quelques personnalités intéressantes. En effet, on s'arrachait les chevaliers qui passent pour des vedettes des tournois, de vrais champions en somme, un peu à l'instar des stars du foot. Il est coutume qu'un groupe réussisse à intégrer dans ses rangs un champion au prix de lourdes sommes (pensions ).

Une fois les groupes formés, on les rassemble en deux camps. On désigne parmi les grands seigneurs un chef par camp.

On prépare le matériel, on fait briller les heaumes, on astique les hauberts, on visite l'aire de jeu pour en prendre connaissance. Les tournois se déroulent dans une espace qu'on appelle " champs ", c'est une vaste étendue de campagne, avec des limites floues, mais qu'on ne s'y trompe pas, c'est un terrain accidenté, qui englobe champs, bois, bosquets, collines, parfois même bourgades. Le terrain est divisé en deux parties, un par camp. Chaque camp dispose d'une zone de repli qu'on appelle les " recets ". Délimitée par des lices ou barrières, c'est une zone intouchable et neutre, où les combattants viennent se reposer, soigner leurs blessures, reprendre des forces, picoler une bonne mousse ( une du nord évidemment hein ), ou mettre leur butin à l'abri.

- Le deuxième jour commence par les " commençailles ", c'est-à-dire, des escarmouches et des défis entre jeunes " bacheliers ", le but étant de se faire remarquer. On assistait donc à quelques combats singuliers ( jamais mortels ) entre des jeunes chevaliers.

Vient ensuite le vrai tournois, la " mêlée ". Pas de coup de sifflet ou de trompette, simplement, quand les combattants d'un des camps sont prêts, ils se rassemblent sur l'aire de jeu pour signaler leur volonté de commencer.

Quelques minutes plus tard, les deux camps se font face, l'excitation commence à poindre, l'atmosphère s'alourdit, il fait chaud sous les hauberts, les chevaux se cabrent.

Les chefs de chaque camp alignent leurs combattants en " conroi ", c'est-à-dire, en formation serrée.

Car la mêlée se divise en général en deux temps : En premier lieu, on aligne les combattants en rangs serrés, puis chaque camp se charge mutuellement, puis on fait demi-tour, et on recommence, l'objectif est de désorganiser les rangs de l'adversaire, de culbuter le maximum de monde, de semer le désordre dans le conroi adversaire. Une fois que l'autre camp est désorganisé, que ses combattants sont isolés, le deuxième temps commence. Là, c'est la curée, les rangs se désintègrent et chacun part culbuter celui qui l'a choisi. Le premier temps est essentiel car c'est le camp qui a su rester le plus cohérent qui a le plus de chance de l'emporter. Mais c'est un moment franchement délicat, qui suppose de la part des combattants une certaine discipline, car on n'est jamais à l'abri d'un plus excité que les autres qui, impatient d'en découdre, sort subitement des rangs pour aller culbuter un adversaire, ce qui donnerait le signal aux autres qui s'empresseraient de suivre, les rangs se disloquent et le conroi fait place à l'anarchie.

Les lignes adverses commencent à onduler , un vent de panique se dessine, certaines chevaliers commencent à s'isoler, ils constituent de ce fait une prise facile à saisir. C'est le moment tant attendu par les chevaliers. Chacun a préalablement choisi sa cible dans l'autre camp. Sus aux belles prises ! ! Ayez, ça part de tous les côtés, seul ou en petit groupe, on fonce sur sa cible. C'est un grand seigneur, connu en plus, son destrier est superbe, son armure rutilante, il pèse son pesant d'or car une fois prisonnier, il faudra qu'il rachète sa libération. Au tournoi, on ne se bat pas pour l'honneur ! On est là, comme à la guerre, pour ravir des armes, des destriers, des hommes, bref, de se faire un joli butin. Le but n'est pas de tuer, mais de capturer et d'arrondir ses fins de mois.

La cible est proche...il faut l'isoler à tout prix, ce n'est pas une mince affaire, car il est protégé le bougre, 4 chevaliers font un rempart de leur écu. Que cela ne tienne, on fonce en serrant sa masse d'arme, on fauche à droite, et PAN, un de moins, on fauche à gauche, et deux, on se fraie un passage vers l'adversaire ciblé. Pour le faire prisonnier, pas compliqué, il faut concentrer les coups sur le casque pour le malmener et l'assourdir, et PAF, PING, POUF, trois coups de masse d'arme bien ajustés sur le heaume pour étourdir mon adversaire, ça ne suffit pas, pas de problème, et PAN, un grand coup de toutes ses forces, et le heaume de mon adversaire s'en retourne carrément devant derrière. Il ne sait plus où il en est, il ne voit plus goutte, mais il s'agite encore, Argh, il est tenace le vilain, pas grave, soyons généreux, et PAN, un ultime grand coup pour carrément l'assommer. Une fois fait, il n'y a plus qu'à prendre les rênes de son destrier et emmener ma cible vers ma zone de repli. Pas une mince affaire ! On essaie de me le reprendre, on veut me le faucher ! Il ne faut surtout pas le lâcher car il vaut son or !. Si on arrive à amener son prisonnier dans sa zone de repli, c'est le banco ! Le prisonnier doit racheter sa libération et son matériel (armes, destrier etc...), pas mal de piécettes en perspective.

Quand l'un des camps est franchement malmené, ou quand la nuit approche, on décide d'arrêter la mêlée. On statue et on discute alors pour savoir quel est le camp vainqueur. On panse ses blessures, on s'inquiète de la santé de ses amis, on commente les combats autour d'un feu, on cherche à connaître la vedette du jour, et surtout on débat sur le butin. On s'acquitte de sa dette, on fait affaire, on troque, on marchande. Puis on fait fête, on ripaille, on boit, on chante, puis on s'endort exténué.

III > Les intérêts des tournois :

- L'intérêt premier des tournois est militaire. Les méthodes de combat ( cf article de Matthieu ) de la chevalerie nécessitent énormément d'entraînement. L'équitation, le maniement de la lance, l'escrime exigent de l'apprentissage. Il existe évidemment des " jeux " guerriers pour s'entraîner ( la quintaine par exemple qui consiste à frapper un mannequin avec sa lance lancé au galop etc...). L'énorme avantage des tournois est de mettre le combattant en situation réelle de combat, une vraie simulation en somme. Car les tournois en leur début ne diffèrent absolument pas de la guerre. J'insiste sur cette idée, les tournois ne sont pas un jeu, c'est un vrai combat, une vraie bataille, à la seule différence qu'il y a des règles assez strictes. Mais les tournois ne sont pas sans risques, loin de là, on note de nombreux cas de chevaliers tués dans les mêlées. Certes, ces accidents sont toujours très déplorés, et il est attesté que dans les tournois, on " retient " quelque peu ces coups (il est avéré que les combattants dans les mêlées montrent de la retenue dans leur façon de frapper. De même, l'usage de lance " à plaisance " est attesté, c'est-à-dire, de lance à la pointe " émoussée ". On notera aussi le fait qu'on utilise l'armement défensif le plus lourd possible, on n'hésite pas à se " blinder " de pièces d'armures.).

- Un intérêt social évident. Les tournois permettent aux chevaliers de se retrouver entre eux, d'affirmer leurs valeurs, leurs rites, on parle le même langage, on fait le même " sport ", on a les mêmes gestes, bref, ça rapproche, ça affermit les liens, ça raffermit l'impression de faire partie de la même " bande ". La solidarité chevaleresque s'épanouit.

Les tournois permettent aussi l'ascension social notamment pour les jeunes chevaliers qui doivent faire leurs preuves. C'est l'occasion de se faire un nom si on a la chance d'avoir fait un bon tournois ( ce n'est guère différent à Mélulice, certains s'aperçoivent qu'il existe un nouveau joueur que quand ce dernier arrive bien placé dans les joutes ....). Une fois repéré, on est invité par un grand à entrer dans son équipe, ce qui constitue toujours une promotion sociale (bah, à Mélu, quand on gagne les joutes pour la première fois, on est invité à entrer dans une mesnie...le principe est donc le même ).

- Les tournois permettent de gagner sa vie ! C'est un aspect inconnu mais les tournois ont un intérêt économique primordiale. En temps de paix, ils permettent aux chevaliers d'amasser quelques piécettes, d'arrondir leurs fins de mois, voire de faire " un bon coup " et de gagner pas mal d'argent. Car l'une des grandes finalités d'un tournois, notamment pour les jeunes participants, est de faire des prisonniers qui doivent ensuite racheter leur liberté. Là est l'intérêt qu'il y a de se ruer sur un chevalier puissant ( et donc nanti ) lors de la mêlée, c'est l'assurance de gagner en retour une belle escarcelle de piécettes sonnantes et trébuchantes. Cette motivation " vénale ", qui contrarie un peu la sainte image de la chevalerie, est à double tranchant. Car si vous êtes un chevalier modeste, qui espère faire une bonne prise, mais qui manque de bol se fait attraper, incapable de racheter sa panoplie, il se voit priver de ses outils de travail et donc risque d'en perdre son statut. Participer aux tournois est dans ce cas un vrai risque. C'est une vraie loterie, on peut gagner beaucoup, ou peu, mais on peut aussi perdre grandement.

- Enfin, les tournois sont aussi un défoulement collectif, un sport...on tape, on se fait taper dessus, bonne esprit quoi.

IV > L'évolution des tournois :

Quand on imagine les tournois, on les présente bien souvent comme une fête mondaine, où les champions de la lance se joutaient devant un parterre de seigneurs et surtout de femmes dont l'imagerie d'épinal veut qu'elles prennent l'habitude d'offrir leurs couleurs aux chevaliers. Cette image n'est pas fausse mais elle ne s'applique absolument pas aux tournois des XIème-XIIème siècles. Pendant cette période, il n'y a guère de public dans les tournois, pas de tribune, pas de femmes (ou rarement ). Quant aux quelques badauds, ils ne peuvent de toutes manières qu'observer le tournois de loin ( trop dangereux ) et si possible en haut d'une tour.

Cependant, les tournois évoluent assez rapidement à partir du XIIIème, et surtout au XIVème siècle, vers une manifestation de plus en plus mondaine et festive. On prend l'habitude de convier un public huppé perché dans une tribune qui regarde les combats. Troubadours, ménestrels, jongleurs, flâneurs de tous poils s'agglutinent et accroissent le côté divertissement des mêlées.

Un nouveau personnage apparaît aussi au XIII-XIVème siècles, les héraults. Ces derniers acquièrent un rôle essentiel car ils deviennent de vrais spécialistes des tournois. A la fois professionnels de l'héraldique, véritable commentateurs des combats, arbitres impartiales, poètes, ménestrels et orateurs, ils font frémir la foule de leurs commentaires, ils connaissent les participants par leurs armoiries, ils les annoncent, commentent en expert les combats, font la moue ou décernent de vraies dithyrambes, arbitres, ils tranchent les différents, édictent les règles des tournois, et surtout on fait appel à eux pour désigner les vainqueurs. Leur rôle est fondamental et ils deviennent rapidement des personnages emblématiques des tournois.

Enfin, d'un point de vue " guerrier ", les tournois évoluent. De moins en moins professionnelles et collectives, les mêlées s'effacent pour laisser la place peu à peu aux défis individuels et codés, c'est-à-savoir, aux joutes et aux pas d'armes. De fait, aux XIV-XVème siècles, finies les mêlées inextricables de chevaliers se martelant à coup d'épée ou de masse d'arme, les combats désormais réunissent deux chevaliers. On ne combat plus qu'à la lance. Les tournois perdent peu à peu leur intérêt d'entraînement militaire.

Milam

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