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Malgré ses airs de «
petit pays » de l’Europe, appauvri voire retardé, situé
en marge des grandes puissances de l’Union Européenne, le Portugal
a été avec l’Espagne, l’une des grandes puissances coloniales
du monde. Dés le XIVeme siècle et encore plus au XVeme siècle,
les marins portugais parcourent et explorent le monde, sous l’initiative
de souverains bien inspirés, à l’instar du fameux Henri le
Navigateur. Est-il besoin de rappeler que le Portugal et l’Espagne, dans
les années 1490, se sont tout bonnement partagé la moitié
du monde au traité de Tordesillas. Est-il encore besoin de rappeler
que les explorateurs portugais ont été parmi les premiers
à faire une « circumnavigation » de l’Afrique et à
mettre les pieds en Extrême-Orient.
Il serait trop long, et ce n’est
guère le sujet de cet article, de s’appesantir sur les premières
aventures coloniales du Portugal. Disons tout simplement que de la fin
du XVeme siècle aux années 1970, l’histoire coloniale portugaise
recouvre trois empires :
- Le « 1er empire »,
c’est le temps des découvertes, de la puissance maritime du Portugal,
maître des routes des Indes au XVIeme siècle. L’influence
portugaise va des confins de l’Amazonie jusqu’aux rivages du Japon !
- Le « 2nd empire »
repose essentiellement sur le Brésil, véritable joyau de
l’empire portugais, jusqu’à son indépendance en 1822. A cette
date, il ne reste au Portugal que des « poussières »
d’empire qui se limitent à quelques poignées de comptoirs
en Inde, en Extrême-Orient ainsi qu’en Afrique.
- Le « 3eme empire »,
c’est l’Afrique, l’objet de notre étude. Disons le franchement,
ce « 3ème empire » découle d’un comportement
totalement anachronique du Portugal. Le pays le plus pauvre d’Europe a
eu à l’époque des exigences totalement inadaptées
qui auront des conséquences dramatiques. C’est ce que nous allons
voir.
I ) L’empire africain portugais : |
Les origines :
Au XIXeme siècle, la présence du Portugal en Afrique remonte à plus de trois siècles, mais cette présence se circonscrit aux côtes et à quelques îles (voir la carte n°1).
A partir du milieu du XIXème siècle, à l’ère du « scramble » (« la course » lancée par les principales puissances européennes qui, après avoir compris que l’Afrique était un vaste continent « vide », se sont lancées dans une vraie compétition de conquêtes), le Portugal comprend qu’il a son mot à dire, et se lance lui aussi dans la curée. Sa grande ambition est de réaliser le « Mapa-cor-de-rosa », c’est-à-dire, de faire la jonction entre l’Angola et le Mozambique, autrement dit, entre l’océan Indien et l’Atlantique (voir carte n°1). Mais cette ambition se heurtera à l’Angleterre qui entend elle réunir l’Egypte à ses possessions de l’Afrique du Sud. Le Portugal doit se plier aux exigences de l’Angleterre ( il n’a guère eu le choix) et en profite par des traités de fixer les frontières de ses possessions ( très convoitées par les autres puissances ). Mais prétendre n’est pas dominé, la pacification des territoires portugais a été difficile et longue. Il faut attendre les années 1930 pour que la Guinée portugaise par exemple soit totalement pacifiée.
Les possessions :
En octobre 1910, le roi Manuel II est renversé, la République est proclamée, la monarchie portugaise passe aux oubliettes. Le nouveau régime peut se targuer d’un empire africain de plus de 2 millions de km2 ! 20 fois plus grand que le Portugal lui-même (92 000 km2) ! ! Un empire qui contient plus de 2 millions d’habitants ! En 1914, le Portugal est la 4eme puissance coloniale du monde (loin il est vrai de la France ou de l’Angleterre dont les empires sont 5 fois plus grands).
Les possessions portugaises en 1914 en Afrique ( voir la carte n°2)
Angola | 1.2 millions de km2 | 4 millions d’habitants (supposés) |
Mozambique | 800 000 | 5 millions |
Guinée portugaise | 31 000 | 3-400 000 |
Cabinda (petite enclave du Congo) | 7200 | 100 000 |
Les îles dont le Cap Vert, Sao Tomé et Principe | 4-5000 | 150 000 ? |
L’Angola est la pièce maîtresse
de cet empire africain portugais. Quatorze fois plus grand que la métropole,
l’Angola est censé devenir un « 2nd Brésil ».
Du XVIeme au XIXeme siècle, l’économie de cette possession
est très marquée par l’esclavage (les Portugais envoient
les esclaves au Brésil). Par la suite, l’économie se développera
autour du café, coton, diamants puis pétrole.
Le Mozambique se développe
surtout à partir du commerce des Indes dont les Portugais sont longtemps
maîtres. Ensuite, la principale richesse de cette colonie est sa
main d’œuvre que le gouvernement portugais « exporte » vers
les mines des colonies anglaises (le gouvernement portugais passait des
contrats avec des compagnies anglaises qui leur autorisaient à «
prélever » des milliers d’indigènes, pour travailler
dans les mines d’Afrique du Sud ou des Rhodésie, est-il nécessaire
de préciser qu’on ne demandait guère l’avis des indigènes
concernés ).
Le reste des possessions portugaises
ne présente que peu d’intérêt. Seuls les Cap-verdiens
(îles du Cap Vert) ont un sort enviable car ils sont considérés
comme des citoyens portugais à part entière.
L’administration :
L’administration coloniale portugaise
a la réputation d’être particulièrement incompétente
et corrompue (ce n’est pas la seule, loin s’en faut). Un ministère
des colonies est crée en 1911 et la République impose un
régime assez décentralisé. Les habitants des colonies
sont divisés en trois : les civilizados, les assimilados et les
indigènes. Les premiers sont les citoyens portugais, des immigrants,
qui ont tous les droits ; les seconds, les assimilés sont des noirs
ou des métis qui sont censés avoir les mêmes droits
et devoirs que les civilizados, leur proportion est cependant ridicule
(0,7 % en Angola ) ; quant aux indigènes, ils sont soumis à
l’administration et doivent s’acquitter d’un impôt dont le paiement
les oblige à des journées de travail forcé. Rappelons
que l’esclavage a perduré très tardivement dans les colonies
portugaises, qu’il n’a été aboli que dans les années
1870, mais a persisté sous des formes plus sournoises. On considère
très volontiers dans l’administration portugaise que l’indigène
doit « être contraint » à travailler car il «
n’entend que le langage de la force ».
II ) L’empire africain de Salazar |
En 1926, une junte militaire renverse le régime républicain, une nouvelle période s’ouvre dans l’histoire du Portugal. En 1928, pour faire face à de grandes difficultés économiques, les militaires au pouvoir font appel à un professeur d’économie : Antonio de Oliveira Salazar (né en 1889). Ce dernier devient l’homme fort du régime dés 1930. Il fonde un Estado novo, un amalgame entre une sorte de dictature d’inspiration fasciste, un verni d’état totalitaire et un simili d’état corporatiste et catholique qui va s’appuyer pour conserver le pouvoir sur quelques structures : le SPN (secrétariat de la propagande ) qui s’occupe de la censure ; le PVDE (puis le PIDE), police politique de triste réputation qui traque toute forme d’opposition (un camp de concentration sera construit à Tafarral au Cap-Vert) ; et l’Uniao nacional, une sorte de parti unique. Mais l’estado novo n’est pas aussi simple et linéaire, puisque des élections universelles sont parfois maintenues, un mouvement d’opposition (le MUD) est même autorisé en 1945, et un président fantoche, relique du régime républicain, est maintenu. Il n’empêche que de 1932 à 1968, Salazar détient tous les pouvoirs. En 1968, il sera remplacé par Marcelo Caetano jusqu’en 1974.
L’Estado novo va amorcer un nouveau régime colonial qui va rompre radicalement avec le régime imposé par la République.
1°- Le ministre Armendo Monteiro fait adopté une charte coloniale en 1930. Celle-ci affirme les liens étroits entre les colonies (rebaptisées Provinces d’Outre-mer) et la métropole, et tend à uniformiser l’administration coloniale. Autrement dit, par rapport à la République, l’Estado novo amorce un virage car il entend s’impliquer dans son empire et d’en resserrer les liens avec la métropole. Comme les colonies sont de vrais gouffres financiers, on essaye de les rentabiliser en renforçant les échanges économiques avec le Portugal (mais ces échanges resteront toujours faibles ).
2°- L’Estado novo essaye de populariser l’empire auprès de la population portugaise en lançant des congrès ou de vastes expositions qui glorifient l’empire (l’exposition du monde portugais en 1940 à Lisbonne).
3°- Après 1945, dans un
contexte de remis en cause mondiale des empires coloniaux, des pressions
internationales se dessinent et le Portugal va chercher à tous prix
à légitimer son empire colonial selon deux axes :
- L’héritage de l’histoire
: le Portugal s’est forgé une idéologie coloniale puissance
issue de sa très longue histoire impériale, et il tend à
légitimer ses possessions africaines par un héritage historique
quasi-naturel, autrement dit, pour faire plus simple, le Portugal domine
« naturellement » des colonies en Afrique car cela découle
d’une continuité historique multiséculaire. Cette idéologie
s’appuie sur une œuvre majeure : Les Lusiades de Luis de Camoes
écrit en 1572, qui exalte la conquête du monde par Vasco de
Gama et les Portugais.
LUSO passe pour être l’ancêtre mythique des Portugais ; les lusiades sont donc les fils de Luso. La Lusitanie est l’ancien nom du Portugal. |
- A partir de 1945 se développe la thèse du « luso-tropicalisme » qui appuie l’idée que les Portugais font preuve d’un génie colonisateur qui repose sur le métissage culturel et racial. Autrement dit, le Portugal prétend faire preuve d’une géniale disposition à assimiler les populations qu’il asservit. Pourquoi les Portugais devraient-ils quitter leurs possessions africaines puisqu’ils sont là pour « rendre service « aux indigènes en leur apportant leur génie, leur civilisation et surtout en les assimilant, c’est-à-dire, en leur permettant de s’élever vers la civilisation portugaise et de devenir un jour un vrai citoyen portugais. Le Portugal prétend donc assimiler ! humm, rappelons juste que pour assimiler, il faut alphabétiser (on assimile par la langue), or, en 1950, le taux d’analphabètes en Angola est de 97 % ! Et de 98 % au Mozambique ! Mieux, en 1960, les assimilados (les assimilés donc) représentent moins d’1 % des 5 millions d’Angolais ! l’empire portugais prétendu assimilateur compte moins de métis que l’Afrique du Sud et son Apartheid ! ! ! Le comble…
4°- Enfin, l’Estado novo, pour
raffermir la main mise de la métropole sur ses colonies, va essayer
de diriger les flux d’émigration vers les possessions coloniales.
C’est pour cela que des années 1930 aux années 1970, la proportion
des portugais va augmenter dans les colonies.
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Population totale | Nombre de Portugais | Population totale | Nombre de Portugais | |
1950 | 4.1 millions | 79 000 | ? | 48 000 |
1970 | 5 millions ( ?) | 290 000 | 8.2 millions | 150 000 |
Toutes ces mesures de l’Estado novo
relève d’un paradoxe dramatique : dans un contexte de décolonisation,
alors que les principaux empires (anglais et français notamment)
disparaissent par pans entiers, le Portugal lui va dans le sens contraire,
il resserre ses liens avec son empire, se forge une idéologie et
dirige ses flux d’émigration vers ses possessions ! Cette attitude
totalement anachronique aura des conséquences dramatiques.
III ) Une décolonisation tardive et dramatique : |
En 1960, alors que la plupart des colonies françaises et anglaises ont accédé à l’indépendance, dans l’Afrique portugaise, rien ne bouge. Le Portugal est le dernier pays d’Europe a quitté le continent ! La décolonisation de l’empire portugais est non seulement tardive mais est aussi l’une des plus tragiques.
L’apparition de courants nationalistes :
L’opposition à la domination portugaise pointe son nez dans les années 1950. Quelques leaders émergent tel Amilcar Cabral, né en Guinée portugaise, qui fait des études à Lisbonne (et qui sera très choqué de constater à quel point la métropole est pauvre). Il rentre en Afrique et crée en 1956 le PAIGC (parti pour l’indépendance de la Guinée), et participe à la création du MPLA (mouvement de libération de l’Angola). En 1962, un autre leader, E.Mondlane crée le FRELIMO (Front de libération du Mozambique). L’UPA quant à lui est un mouvement de libération qui apparaît dans le Nord de l’Angola.
La guerre :
En 1961, les troupes portugaises répriment dans le sang des émeutes. Quelques jours plus tard, le MPLA lance des actions armées contre les casernes portugaises. C’est le début de la guerre qui va durer plus de 10 ans ! Dés le début, le gouvernement portugais va se recroqueviller et s’entêter sur un refus total de négociation et va se lancer dans une politique de lutte à mort envers tout mouvement qui tend à critiquer sa domination dans ses colonies. Car le gouvernement portugais est persuadé que le Portugal ne peut exister sans son empire, c’est une lutte vitale, pas étonnant que la guerre ait duré 14 ans !
En Angola, les premiers contingents
portugais débarquent en avril 1961. L’armée va mener une
lutte d’anti-guerilla (déplacement forcé de population, coups
de main, propagande, massacres…) avec quelques succès vite déçus.
L’UPA est surtout très actif (il devient le FNLA en 1962, front
de libération nationale de l’Angola) et finit par contrôler
tout le Nord de la province.
Au Mozambique, les insurgés
du FRELIMO attaquent en 1964. Les troupes portugaises répliquent
rapidement et mènent une lutte à mort, peu regardant sur
les moyens (en 1973, le TIME publie un rapport édifiant sur un massacre
de civils par les troupes portugaises ). Mais les Portugais seront vite
dépassés et en 1974, le FRELIMO est mieux équipé
que l’armée portugaise qui subit revers sur revers.
En Guinée portugaise, la
guerre commence dès 1961. Le PAIGC mène une guerre d’une
redoutable efficacité et les pertes portugaises sont lourdes. La
Guinée sera un vrai cauchemar pour l’armée portugaise (le
« Vietnam » du Portugal en somme). En 1973, fort de ses succès,
le PAIGC proclame tout bonnement et de façon unilatérale
l’indépendance de la Guinée-Bisau !
Ces guerres pèsent très lourdement sur la société portugaise. Les appelés du contingent font un service de 24 mois, et la conscription touche 6 % de la population active de la métropole. On estime à 150 000 le nombre de soldats qui se sont battus en Afrique (attention cependant, la 1/2 sont des africains recrutés dans l’armée portugaise ). La moitié du budget national passe directement dans l’effort de guerre ! Autant dire que le pays se ruine. Guère étonnant à partir de là que se dessine assez rapidement un mouvement d’opposition au gouvernement portugais. Au sein de l’armée se crée un MFA (mouvement des forces armées) qui regroupent de jeunes officiers qui conspirent contre le gouvernement et qui sont favorables à la paix et à l’indépendance des colonies.
La révolution des œillets :
Le 25 avril 1974, l’armée prend les devants et renverse le gouvernement de Marcelo Caetano ! Voilà 50 ans de dictature balayés en un jour ! L’armée place à la tête de la révolution le général Spinola, l’un des principaux protagonistes du punch. Le 1er mai 1974, des milliers de portugais manifestent dans les rues, un œillet rouge à main, pour soutenir la révolution. Désormais, la révolution a l’appui du peuple, elle peut donc commencer les négociations avec les colonies. Cependant, les nouveaux dirigeants sont en désaccord, Spinola refuse obstinément d’entendre parler d’indépendance. Face à la pression des membres du MFA, et pour éviter une guerre civile (il a envisagé un coup d’état), Spinola démissionne. Les négociations vont s’accélérer, la Guinée-Bisau est reconnue en 1974, tout comme l’indépendance de l’Angola, du Mozambique puis des îles.
L’indépendance des possessions
portugaises va se traduire par le brusque départ des colons portugais.
500 000 portugais vont retourner dans la Métropole (les retornados
), mais une grand partie, dégoûtée, émigre vers
l’Afrique du Sud (où la communauté portugaise représente
plus de 700 000 membres, c’est la troisième communauté blanche
d’Afrique du Sud ).
La perte des colonies africaines signifie pour le Portugal la fin de l’aventure coloniale qui a commencé il y a 5 siècles. Seul subsistait Macao, tel un vestige d’une époque glorieuse, mais qui a fini par être « restitué » à la Chine en décembre 1999.
Milam, août 2000