1280-1774
( Article réalisé dans le cadre du JPC Alliances Royales )
IntroductionLe récit de l’Empire ottoman est à la fois complexe et passionnant. Complexe car il se penche sur une société, une mentalité, une culture qui nous sont en général inconnues, qui séduisent par leur étrangeté, qui ont attiré en tout cas bon nombre d’observateurs européens. Passionnant car la façon dont la dynastie ottomane a surgi de l’obscurité pour régner sur une grande partie de l’Europe et de l’Asie est l’une des aventures les plus remarquables de l’Histoire. Au XIIIe siècle ,les ottomans ne dirigeaient que l’une des nombreuses principautés turcomanes jouxtant l’Etat décadent de Byzance en Anatolie occidentale. En deux siècles, ils ont fondé un empire monumental. A cheval sur l’Europe, l’Afrique et l’Asie, cet empire bénéficiera d’une situation géographique exceptionnelle, véritable plaque tournante entre les trois continents. Et cet empire allait durer jusqu’au XXême siècle toujours dirigé par la même dynastie, celle des Osmanli, une particularité qui confère à cette dynastie une pérennité tout à fait unique.
Vous faire entrevoir l’histoire de cet empire remarquable en quelques pages relève de la gageure, j’ai quand même tenté de relever ce défi par le biais de trois grandes parties. La première nous invitera à prendre connaissance des origines des Osmanli puis relatera l’histoire de l’empire de 1280 à 1699. Une deuxième partie analysera les institutions de l’empire ottomane
( l’armée puis l’Etat ). Ainsi, nous aborderons la partie finale qui narrera les événements ottomans de Karlowitz en 1699 à la fin du règne de Mustapha III en 1774. Cette date limite peut surprendre, si j’ai décidé d’arrêter mon récit en 1774, c’est pour essayer de " coller " avec la chronologie d’Alliances Royales, au delà de cette date, il ne m’appartient pas de relater les évènements, mais il revient aux joueurs de refaire l’Histoire non de l’imiter.
Carte 1 : Extension de l'empire ottoman | Carte 2 : La Hongrie |
I ) Origines et développement de l’empire Ottoman, 1280-1699
1> Le " Premier Empire ottoman " 1280-1413
Les Ottomans tirent leurs origines de peuplades nomades qui vivaient dans la région de l’Altaï au sud du lac baïkal (près de la Mongolie actuelle). Organisés en tribus, ces nomades pratiquaient l’élevage et le pillage, étaient dirigés par des chefs dits " Khans " au pouvoir limité, et leurs croyances étaient d’ordre chamanique. A partir du IIe siècle av JC, une partie de ces nomades envahit en vagues successives les régions limitrophes, et ceux qui vont vers l’Europe orientale et l’Asie centrale sont rapidement connus sous le nom d’Oguz ou Turcomans ( ou turcs en Europe). Au VIe siècle, ces Turcomans fondent la première entité politique turque connue, l’empire dit Göktürk. Dans le cadre de ce dernier, les nomades Turcomans vont prendre contact avec l’Islam. Au Xe siècle, un groupe de guerriers oguz, les Seldjoukides, pénètrent au Moyen-Orient, fondent un empire au XIe siècle et battent les Byzantins en Anatolie. Cette victoire permet à une multitude de nomades turcomans de s’installer en Anatolie et de créer des petites principautés. A la fin du XIe siècle, avec le déclin de l’empire seldjoukide, des princes seldjouks se rendent autonomes et fondent leurs propres Etat tel le seldjouk de Roum en Anatolie. A partir de la fin du XII e siècle, les Mongoles envahissent l’Asie Mineure. Au début du XIIIe siècle, en Anatolie coexistent dans un certain désordre des petites principautés turcomanes dirigées par des Beys1 avec des principautés seldjouks. C’est dans ce brassage qu’émergent
les Osmanli.L’origine des Osmanli est problématique et douteuse. Selon la tradition, un certain Suleyman Chah, chef d’une tribu turcomane dans une petite région au nord de l’Irak, décide de prendre la fuite avec les siens devant l’invasion mongole du début du XIIIe siècle. Malheureusement, sa mort inopinée en passant l’Euphrate entraîne la division de la famille. Un de ses fils, Ertoughroul conduit une partie de la famille en Anatolie, et se met lui et les siens au service du seldjouk de Roum, en récompense, ce dernier lui donne des terres en Anatolie occidentale. En 1280, Ertoughroul meurt, son fils Osman lui succède.
Osman
, né peut-être autour de 1258, est le fondateur éponyme de la dynastie ( d’où Osmanliº Ottoman ), il inaugure une politique de conquête contre les derniers seldjouks et contre l’empire décadent byzantin à qui il prend la ville de Yénicherir2 qui devient la capitale ottomane.Orkhan
succède à son père en 1324, il en poursuit la politique d’expansion. Surtout, profitant d’un contexte favorable ( Byzance déchirée par une lutte civile entre deux dynasties qui postulent le trône) il permet aux Ottomans leurs premiers pas en Europe. En effet, une série d’expéditions d’Orkhan vers la mer de Marmara entraîne une contre-expédition de l’armée byzantine qui se fait écraser à Maltepe ( 1328). Cette déroute permet à Orkhan de conquérir les villes de Nicée et de Nicomédie ( 1331-37). Plus tard, les Cantacuzème luttant à Byzance pour le trône demandent l’aide des Ottomans qui en profitent pour conquérir Gallipoli, première base ottomane en Europe.Mourad I
(1360-1389), fils d’Orkhan, passe pour être le vrai fondateur du premier Empire ottoman au regard du nombre de ses conquêtes. Tout d’abord l’Anatolie sera en grande partie contrôlée grâce à des séries d’expéditions contre les possessions byzantines. Parallèlement Mourad I passe à l’offensive en Europe, et prend la ville d’Edirne (Andrinople) en 1361 qui devient sa capitale. En 1363, Mourad négocie le premier traité otto-byzantin où ces derniers reconnaissent toutes les conquêtes ottomanes, en retour Mourad promet de ne pas attaquer Byzance, celle-ci est désormais vassalisée. En décembre 1366, une bulle papale prêche la croisade contre les Turcs, c’est la première du genre, elle n’aura que peu d’effet. A partir de cette date, Mourad se lance dans une dynamique de conquêtes avec deux généraux, Evrenos bey et Kara Timurtach, ils prennent la Thrace, une grande partie de la Macédoine, la Serbie du sud avec la prise de la ville de Nich et la Bulgarie En 1388, une défaite de Kara à Plochnik contre Bosniaques et Serbes ( c’est la première victoire des chrétiens sur les Ottomans) entraîne la formation d’une Union balkanique qui entend bouter les ottomans hors d’Europe. Mourad occupé en Anatolie à guerroyer contre une principauté turcomane rebelle fait rapidement face et écrase les coalisés à Kossovo (1389) au sud de la Serbie. Il meurt dans la bataille mais cette victoire permet aux Ottomans de contrôler presque toute l’Europe du sud du Danube.Bayézid I
(1389-1402) innove son règne en matant systématiquement toute rébellion des beys d’Anatolie, ceux-la mêmes qui dirigent de fortes principautés et qui forment le noyau de l’armée ottomane, il cherche à s’affranchir des notables turcs souvent rebelles en favorisant la promotion de notables chrétiens plus conciliant. Bayézid lance les armées ottomanes dans une grande dynamique conquérante. Luttant sur deux fronts, Anatolie et Europe, il frappe avec une vélocité extraordinaire dans un mouvement de va et vient menant son armée aussi bien dans les confins anatoliens qu’aux franges de la Hongrie. Surnommé Yildirin (la foudre), il achève la conquête de la Macédoine, de la Thessalie et de la Bulgarie avec Evrenos bey et pacha Yiá it bey. Il met en échec la croisade de 1396 à Nicopolis contre Sigismond de Hongrie, il est honoré par son armée du titre de sultan3 à l’issue de la bataille. Mais cet élan va être interrompu net par un autre grand conquérant :Timur le boiteux ou Tamerlan. Ce dernier envahit la Syrie avec ses Mongoles puis entre en Anatolie, Bayézid s’interpose, les deux armées se rencontrent près d’Ankara en juillet 1402, les Ottomans sont défaits, le sultan emprisonné meurt l’année suivante ! !. L’empire entre dans une phase de crise, pourra-t-il survivre à une telle défaite ?La période qui s’étend de 1402 à 1413 est dite l’Interrègne, elle constitue une coupure dans l’histoire de l’Empire ottoman, elle voit une lutte fratricide entre les différents successeurs de bayézid qui mettent l’Empire en danger. En 1413, Mehmed, l’un des prétendants, réussit à s’imposer, coup de chance, l’empire n’a presque pas bougé.
2> Le " Second empire Ottoman " et l’apogée 1413-1566
Après l’Interrègne, l’empire entre dans une phase de restauration avec Mehmed I (1413-1421) et Mourad II (1421-1451), puis une phase d’élan impressionnant avec Mehmed II Fathi (1451-1481), Bayézid II1481-1512), Sélim I (1512-1520), enfin l’empire connaît son apogée sous Suleyman le magnifique (1520-1566).
Avec
Mehmed I, réaction et restauration vont de pair. Réaction car le nouveau sultan renoue avec les notables turcs. Restauration car il réussit à affermir l’empire malgré un conflit avec Venise (défaite de la flotte turque en 1416 près de Gallipoli).Mais le grand restaurateur de l’empire, celui qui passe parfois comme le vrai fondateur de la puissance ottomane en Europe et en Asie, c’est
Mourad II. Conquérant formidable, il met trois ans pour s’imposer sur le trône face aux prétentions de ses 4 frères qu’il élimine. Capable de grands succès qui ont accru l’espace turc, capable de développer les institutions de l’Etat qui consolidèrent l’empire, il est capable aussi de décisions qui le mettent en péril, ainsi, en pleine crise due à la croisade de 1439, il se retire soudainement du pouvoir en août 1444 en faveur de son fils pour vivre une vie de moufti4 mais revient et sauve son empire !De 1421 à 1451, Mourad II :
- Consolide le pouvoir : Il impose des notables d’origine chrétienne pour se rendre plus indépendant face aux notables turcs et aux forces féodales de l’armée. Il restaure les rouages de l’Etat et renforce sa puissance.
- Consolide et agrandit l’empire : Tout comme Bayézid I, il frappe à l’est (Anatolie) comme à l’ouest (Europe) dans un mouvement de va et vient. Il réalise l’unité de toute l’Anatolie. En Europe, il doit faire face à la croisade de 1439 guidée par Hunyadi, gouverneur de Transylvanie, avec les Serbes et le roi Ladislas de Hongrie. Il obtient d’abord des succès mais il abdique brusquement pour son fils, or ce dernier se montre incapable de faire face aux croisés, Mourad revient au pouvoir, et se permet le luxe d’écraser l’armée des croisés à Varna en novembre 1444. Puis, sur la lancée, il bat une seconde armée de croisés à Kossovo en octobre 1448, deux victoires complètes sur l’Europe chrétienne qui ne s’en relèvera jamais ! A sa mort en 1451, la domination ottomane est largement assurée au sud du Danube.
A partir de 1451 et pendant un siècle, l’empire connaît un grand élan de conquête.
Mehmed II passe pour être le Fathi ( le conquérant). Son long règne permit en effet une grande expansion de l’espace ottoman grâce à trois dynamiques puissantes : Mehmed porte à son paroxysme l’idéal de guerre sainte ( Tradition dite des Ghazis ), il entend unifier l’empire et surtout rêve d’empire universel. Un rêve qui justifie un coup de maître, le siège puis la prise de Byzance ( fevrier-mai 1453) faisant de Mehmed le successeur légitime de l’empereur byzantin et à travers lui des empereurs romains. Un rêve qui explique aussi des projets hallucinants comme la conquête de l’Italie en 1480 au moment où 100000 turcs débarquent à Otrante, l’Europe s’arrête subitement de respirer, rien ne paraît pouvoir stopper une telle puissance ... sauf la mort subite du Fathi, l’Europe a eu chaud !Après la prise de Byzance, Mehmed passe en 1454 un accord avec Venise qui fera date : Contre le droit de pouvoir commercer librement dans l’empire ottoman et celui d’avoir un baile (consul) à Istanbul, la Sérénissime accepte de payer un droit de douane de 2% et de verser un tribut annuel ...selon le droit féodale, verser un tel subside, c’est reconnaître la domination de l’autre, voilà Venise vassalisée ! Puis, Mehmed obtient une alliance avec les Tartares de Crimée (vassalisés aussi) et part à la conquête de toute la Serbie en 1459 (sauf Belgrade), de toute ou presque la Morée (Grèce) en 1458-1460. La Vallachie est conquise peu après, la Bosnie occupée en 1463. En septembre 1463, l’Europe décide de réagir et lance une croisade ... sans effet, Mehmed continue...l’Albanie tombe en 1478, le Négrepont (Eubée) appartenant à Venise est conquis en 1470. En 1480, deux projets vont échouer avec la mort du sultan, le siège de Rhodes et, en accord avec le royaume de France, l’invasion de l’Italie en débarquant au sud d’icelle.
Avec
Bayézid II (1481-1512), l’empire marque un temps d’arrêt qui permet sa consolidation. Il affronte avec succès deux petits conflits, avec la Pologne en 1497 suite à une agression d’icelle, mais les Polonais se font écraser à Kozmin (1497), contre Venise en 1499-1502 qui voit le succès de la flotte ottomane qui passe désormais pour une vraie puissance navale. En avril 1512, face à un sultan qui s’est retiré depuis 1502 des affaires pour la contemplation et les études, les janissaires le forcent à abdiquer pour son fils Sélim. C’est la première fois que les janissaires interviennent pour imposer leur choix du sultan, une action qui fera école...Sélim I
reprend la politique de Mehmed II. S’appuyant sur le corps des janissaires, il élimine tous ses frères. Il est surtout le Fathi de l’est !. En effet, un danger est apparu au Moyen Orient :la dynastie perse des Séfévides fondée au XIVe siècle. A sa tête, le Shah Ismaël adopte une politique belliqueuse, il conquiert l’Iran et fonce en Syrie, mais il est arrêté par l’armée ottomane en août 1514. Sélim en profite pour conquérir la Cilicie ( au sud-est de l’Anatolie ) et le Kurdistan. En 1516, Sélim, en campagne contre les Séfévides, se retourne brusquement contre les Mamelouks5 , il les écrase à Alep en août, conquiert toute la Syrie, puis fonce en Egypte. sa victoire à Rid· niyye en janvier 1517 lui permet de prendre le Caire et d’annexer le royaume égyptien. En sus, il finira par contrôler la côte ouest de la péninsule arabique, en clair, il met la main sur tous les lieux saints de l’Islam ... Sélim a tout bonnement en moins de 5 ans conquit une grande partie du monde arabe ! Il meurt en 1520 et laisse le pouvoir à son fils qui va connaître un des règnes les plus glorieux qui soit.Suleyman I
, 1520-1566, porte le système ottoman à son apogée. Des portes de Vienne jusqu’aux mers de l’Inde et des steppes tartares, il s’impose comme le souverain le plus puissant de son époque. La chrétienté le maudissait par la menace constante qu’il faisait peser sur elle-même, mais elle était aussi fascinée par ce prince au faste incomparable entouré de milliers de serviteurs, dans des palais regorgeant d’or, et elle l’a surnommé le Magnifique. De plus, ses pires ennemis reconnaissaient l’ordre et la justice qu’il faisait régner dans ses états, sa sagesse, sa piété, sa loyauté vis-à-vis de ses adversaires. Il est Le Grand Seigneur auquel semblait promise la domination du monde, il est le sultan de l’islam dont il a brandi le sabre triomphant. Pour son peuple, il est le Kanouni, le législateur, car il n’est pas seulement un grand conquérant, il est aussi un puissant organisateur qui a su affermir considérablement l’Etat et l’Empire ottoman et s’entourer d’hommes capables.Pour distinguer le foisonnement des activités de Suleyman, on distinguera deux domaines : l’extérieur et l’intérieur.
Ø
A l’extérieur:
Grâce à une des armées les plus puissantes d’Europe et d’Asie, grâce à une flotte importante, Suleyman mena 13 grandes campagnes. Son espoir de domination mondiale se heurtera à une coalition des empires les plus puissants qui soient, une vraie guerre des empires :Celui de Charles Quint aidé par son frère Ferdinand de Habsbourg qui dirige l’Autriche, l’empire de Venise, celui des Portugais et des Séfévides. Encerclé, Suleyman va s’imposer sur tous les fronts à partir d’Istanbul dans un mouvement de pendule, ses troupes vont faire règner la terreur en Méditérranée, en Europe et en Asie.
En Europe, Suleyman se fixe pour objectif ce qui sera la grande affaire du règne : la conquête de la Hongrie. En août 1520, Suleyman réussit le coup d’éclat de prendre Belgrade, clé de voûte des Balkans, puis il amorce la première campagne de Hongrie ( y en aura 7). Il remporte contre le roi Louis II la superbe victoire de Mohacs en août 1526. En réaction, l’Autriche envahit la Hongrie, Suleyman entraîne son armée dans une seconde campagne hongroise, chasse les impériaux et assiège Vienne (septembre-octobre 1529). Puis, une troisième expédition est menée en 1532 face à une nouvelle agression autrichienne. Cette fois-ci, c’est du sérieux, Suleyman traverse les Balkans avec 300 000 hommes ... mais rebrousse chemin à cause de l’hiver, l’Autriche a eu des sueurs froides ! D’où une paix en 1533 à Vienne : l’Autriche abandonne ses prétentions sur la Hongrie, accepte de payer un tribut (reconnaît donc sa position subordonnée) et ne domine qu’une petite frange au nord de la Hongrie. La Hongrie est donc totalement contrôlée par Suleyman. En 1536, Suleyman signe la première alliance formelle avec la France ( accord commercial dit les Capitulations qui donne aux français le droit de commercer librement dans l’empire). En 1538, la Moldavie est définitivement conquise. En 1540, suite à une nouvelle attaque autrichienne en Hongrie, celle-ci est définitivement annexée et les autrichiens écrasés. En 1551, la Transylvanie est totalement occupée. En 1562, une paix apparemment définitive est signée avec l’Autriche qui reconnaît les conquêtes ottomanes.
En Asie, le règne est dominé par la lutte contre l’empire Séfévide et contre les Portugais.
En 1533, face aux activités belliqueuses des Séfévides de Perse, le grand vizir Ibrahim pacha6 entreprend une campagne sans grand succès. Cependant, en 1538, Suleyman conquiert l’Irak en prenant Bagdad et Basra aux Perses. Parallèlement, les possessions ottomanes en mer rouge et dans le golfe persique doivent faire face à des attaques des portugais qui prennent l’empire à revers. C’est contre ces derniers que va se révéler l’un des plus grands héros navals ottomans du XVIe siècle, Piri reis7 ( mort en 1554), Grand Amiral de la flotte de l’océan Indien en 1547. Il mène des expéditions osées dans océan qui borde l’Inde et surtout il chasse les Portugais de la côte du Yémen. Son successeur Ali reis échouera contre les Portugais dans le golfe Persique qui s’y implantent avec succès. En 1554, une dernière campagne victorieuse contre les perses séfévides entraîne la signature d’un traité important, celui d’Amasya de mai 1555 où les Séfévides reconnaissent toutes les possessions ottomanes, la frontière entre les deux empires n’évoluera pas pendant deux décennies.
En Méditerranée : C’est là que Suleyman commence son règne par un coup fameux, le siège et la prise de Rhodes en décembre 1522. Puis, très rapidement, grâce à une flotte devenue redoutable, les ottomans vont complètement dominer la Méditerranée orientale transformée en lac ottoman. Ensuite, pendant tout le règne, c’est un conflit permanent contre l’Espagne,Venise et Gênes pour la domination de la Méditerranée occidentale. Là, les ottomans vont s’imposer grâce notamment à une forte activité des corsaires turcs. Deux d’entre eux, Uruc reis et Hizir reis prennent Tunis mais sont délogés par les espagnols. Mais Hizir reis, appelé aussi Khaïreddin ( ou Barberousse) prend Alger qui sera annexé à l’empire. Khaïreddin devient Grand Amiral ( ou Kapudan pacha) en 1533 et s’oppose avec brio aux flottes réunies de Venise, du Pape et de l’Espagne. En septembre 1533, il met en déroute la flotte alliée à Preveze, Barberousse est à son apogée !. En 1540, Venise fait une paix séparée avec l’empire abandonnant toute prétention sur la Morée et sur la mer Egée, Venise a rarement signé un traité aussi défavorable. En 1550, le nouveau Grand Amiral Tourgout reis s’empare de Tripoli et effectue des raids en Italie. Par la suite, son successeur Piyale pacha aura moins de succès.
Ø Grand à l’extérieur, Suleyman l’est aussi dans les affaires intérieures en affermissant les structures de l’empire:
D’abord, sous son règne, le sultan domine à la tête de l’Etat, son pouvoir est totalement absolu. Il prend des mesures économiques, financières et commerciales qui dynamisent l’empire. A son avènement, l’empire comptait 12 millions d’individus, Suleyman à sa mort dominait 22 millions de sujets !. Il est aussi à l’origine d’un grand travail de codification et d’organisation administrative. Un nouveau code des lois est rédigé avec l’aide du pacha Lufti, il assainit l’administration dans l’espoir de promouvoir un système plus équitable et plus moral. Surtout, le très grand jurisconsulte
Ebu Us-Suud efendi8 rassemble, dans un travail phénoménal, toutes les lois sous forme de code juridique. Suleyman sait aussi pour gouverner s’entourer de personnes compétentes, citons les plus connues : le grand vizir Ibrahim pacha assassiné en 1536 (sur ordre du sultan), pacha Lufti efendi grand vizir jusqu’en 1541, Mehmed Sokoullou grand vizir de 1555 à 1560.
Cependant, si Suleyman marque l’apogée du système ottoman, la fin de son règne voit émerger des signes sérieux de faiblesse, signes qui deviendront récurrents sous ses successeurs : Croissance du pouvoir des grands vizirs, hausse de l’influence du Harem, évolution des classes dirigeantes en factions rivales luttant pour le pouvoir, dégradation de la vie politique, problèmes économiques qui perdurent ( inflation, dévaluation de la monnaie, crise de budget), lutte entre les fils de Suleyman pour sa succession avant même sa mort.
Le règne de Suleyman finit comme il a commencé, par une campagne militaire. Suite à une intervention autrichienne en Transylvanie, Sokoullou persuade le sultan pourtant malade d’une expédition. C’est une armée aux effectifs inimaginables qui s’ébranle en été 1566 avec pour objectif Vienne. L’Europe ne respire plus, l’Autriche multiplie les demandes de négociations, mais rien n’y fait, le Grand Seigneur veut en finir. Sa mort en septembre 1566 achève brusquement la campagne ! Ce roi soleil n’est plus, un voile obscur s’abat sur l’empire l’amorçant vers les méandres du déclin.
3> Le début des difficultés 1566-1699
Celui qui a la dure tâche de succéder à Suleyman, c’est
Sélim dit Sari (l’ivrogne) 1566-1574. Son règne accentue une tendance : le retrait de plus en plus important du sultan des affaires. Le grand vizir Sokoullou domine l’Etat, les janissaires en contrôlent les rouages. La grande affaire du règne, c’est la conquête de Chypre, possession de Venise. Amorcée en 1570, elle entraîne la formation d’une Sainte Ligue avec le Pape, Philippe II d’Espagne, Gênes et Venise, qui envoient une flotte dirigée par l’espagnol Don Juan. Celui-ci va écraser la flotte ottomane à Lepante en octobre 1571. Si l’échec est cuisant, ce n’est guère qu’un " épiphénomène ", la flotte ottoman est totalement reconstruite en 2-3 mois ! !Mourad III
(1574-1595) élimine ses 5 frères le jour de son avènement, et on lui comptera 40 concubines ! Quelques problèmes avec la Pologne, une guerre contre les Séfévides de 1576 à 1590 provoque d’abord la conquête du Caucasse et d’une partie de l’Arménie, puis le grand vizir Osman pacha aidé par 200000 Tartares conquiert l’Azerbaïdjan. La paix en 1590 corrobore l’annexion des trois territoires, un beau succès ! Tout aussi important, une nouvelle guerre contre l’Autriche (1593-1606) n’apporte cependant aucun résultat sous Mourad.Mehmed III
(1595-1603) fait assassiner ses 19 frères. C’est le grand vizir qui domine l’Etat, le sultan lui passe son temps au Harem. Le conflit contre les impériaux se pérennise et ne tourne pas en faveur des ottomans ( révolte des principautés9 ) mais une superbe victoire contre l’armée impériale à Haç ova en 1596 et une alliance avec la Pologne permettent de rétablir la situation. Malheureusement, des révoltes populaires ( dites Celali ) en Anatolie et surtout une rébellion à Istanbul en 1603 paralysent l’empire.Ahmed I
(1603-1617) confirme la bonne situation des ottomans face à une Autriche qui se lasse, elle consent à signer le traité de Sitva Torok de novembre 1606, celui-ci stipule un statu quo ante bellum, surtout il n’est plus question pour l’Autriche de payer un tribut, pour la première fois lors de négociations, les deux protagonistes se reconnaissent égaux. Malheureusement, pendant qu’Ahmed se complaît au harem, le vrai danger apparaît à l’est : les Séfévides se réveillent avec le shah Abbas, ils envahissent les territoires ottomans, et culbutent sévèrement une armée ottomane au lac Urmiya en septembre 1605. Si le grand vizir Mourad pacha Kuyucu rétablit quelque peu la situation, le traité signé en novembre 1612 sur la base de celui de 1555 est défavorable à l’empire : il signifie en effet la perte des conquêtes de 1590, l’empire recule déjà de ce côté là !Mustapha I
(1617-1618) est totalement incapable, c’est le premier sultan à accéder au pouvoir sans expérience préalable des affaires du gouvernement. Il passe son temps au harem, est complètement dominé par sa femme. Le principal eunuque Mustapha aga10 le fait déposé en faveur......d’Osman II (1618-1622), un règne court mais qui va marquer son temps ! S’il n’a que 14 ans en 1618, il s’intéresse au chose du gouvernement, surtout, il va tenter quelques réformes pour restaurer la toute puissance du sultanat, et pour enrayer la dégénérescence de l’Etat, le népotisme, la corruption, les révoltes endémiques. Il impute aux janissaires la cause du déclin et entend " turquifier " l’Etat. Or, les janissaires se révoltent en mai 1622, exécutent le grand vizir et assassinent le sultan ! Ils appellent l’incompétent Mustapha I pour remonter sur le trône. Avec cette intervention, le corps des janissaires prend le faciès qui le caractérisera pendant les deux siècles à venir : Un corps devenu conservateur, opposé à toute tentative de réforme ou d’innovation, qui s’accommode du déclin, qui fait et défait les sultan, qui devient dans tous les cas une force politique corrompue qui contribue à la dissolution de l’Etat. Paradoxalement, malgré les gros problèmes intérieurs, l’empire sort vainqueur d’une petite guerre contre la Pologne (1620-1621) grâce à une belle victoire contre les Polonais à Cecora en septembre 1620.
Mustapha I
de retour ne reste qu’un an, c’est l’anarchie à Istanbul, des rébellions éclatent en Anatolie, la soldatesque se rebellent, l’empire faillit. Mustapha est déposé pour la deuxième fois.Son successeur,
Mourad IV (1623-1640) sauve l’empire de l’anarchie, enraye quelque peu le déclin par quelques réformes pertinentes. Le début de règne est carrément difficile (Istanbul est incontrôlable), il mate sévèrement les rébellions, prend illico des mesures réformatrices (purge de tout le système militaire, lutte contre la corruption, instaure un réseau d’espionnage dans tout l’empire pour lutter contre l’indiscipline, porte ses efforts sur le respect des lois, prend des mesures pour rétablir les finances). Si Mourad remporte un certain succès à l’intérieur, il perd par contre la face dans une guerre désastreuse contre les Séfévides (1634-1639). Le traité de Kasr-i Sirm de mai 1639 confirme la perte du Caucasse et de l’Azerbaïdjan et fixe les frontières de ce côté là pour longtemps. Mourad IV meurt en février 1640, il a retardé le déclin ... son successeur lui l’accélérera !...Ibrahim
(1640-1648), dit Deli (le fou) , son règne est tellement brutal et désastreux qu’aucun de ses successeurs ne reprendra son nom ! Sans aucune expérience du pouvoir, totalement sous l’influence de son entourage, il ne peut empêcher que s’instaure une situation de quasi-anarchie dans l’empire. La grande affaire du règne, c’est la conquête de la Crète qui provoque la guerre contre Venise en 1644. Si l’occupation de la Crète se passe sans difficulté, Venise réagit violemment, sa flotte organise un blocus des Dardanelles en 1648 qui provoque une vraie panique à Istanbul ( par le blocus, Venise empêche la livraison du blé d’Egypte qui alimente la capitale. Notez qu’à cette période, Istanbul était sans aucun doute la plus grande métropole du monde avec 800000 habitants). Le sultan est déposé en pleine crise de démence puis est étranglé en août 1648.Mehmed IV
(1648-1687), fils d’un sultan fou, n’a que 6 ans ! La lutte des factions s’exacerbe, les janissaires en profitent, obtiennent tous les postes principaux de l’Etat qu’ils finissent par dominer, c’est le " sultanat des aá as "(1648-1651). Au cours de l’hiver 1650-1651, l’empire est au bord de l’effondrement, la guerre civile s’installe, la flotte turque est franchement malmenée par Venise à Naxos en août 1651. Le chaos perdure jusqu’en 1656 malgré une légère réaction du grand vizir Tarhoncu Ahmed pacha (161-1653). En juin 1655, une grande partie de la flotte est détruite par Venise près des Dardanelles, la défaite la plus écrasante après Lepante ! Pour mettre un terme au chaos, le sultan nomme Mehmed Köprülü grand vizir en 1656, c’est l’homme qui va sauver l’empire et qui va être à l’origine d’une véritable dynastie de grand vizir qui vont gouverner l’empire jusqu’au XVIIIe siècle. S’imposant très rapidement, il revient au mouvement réformateur. Il fait reconstruire la flotte et met surtout fin au blocus des Dardanelles (1657). Il mate avec brutalité toute révolte, et réprime une tentative sérieuse de sécession d’un bey anatolien en 1659 ( suite à cette répression, 12000 têtes dit-on sont envoyées à Istanbul ! !). Il se retire des affaires en 1560 en laissant sa place à son fils Fazil Ahmed pacha, il meurt en 1561... un très grand vizir !.Fazil Ahmed, grand vizir jusqu’en 1676, reprend son père, restaure l’Etat et donne au grand vizirat un pouvoir jamais égalé. Il doit faire face surtout à de sérieux problèmes extérieurs :
º Une guerre contre l’Autriche en 1663, la bataille de saint Gotthart d’août 1664 entre l’autrichien Montecuccoli et Fazil ne donne rien. La paix de Vasvar peu de temps après stipule un statu quo.
º Il achève la conquête de la Crète et signe la paix avec Venise qui reconnaît la perte de l’île (1669).
º Il mène l’empire dans une guerre contre la Pologne suite à des conflits d’intérêt en Ukraine. Une campagne victorieuse et l’occupation de la Podolie précipitent la paix de Buczacz d’octobre 1772 : la Pologne confirme la perte de la Podolie, c’est l’apogée territoriale de l’empire ! Après une réaction du nouveau roi polonais, Sobieski, une nouvelle paix à Roravno (1676) confirme l’annexion.
En 1676, c’est le frère de Fazil, Kara Mustapha pacha, qui remplace ce dernier au grand vizirat. Si un court conflit contre la Russie en 1678-1681 se passe à peu près bien, il en est autrement pour une énième guerre contre l’Autriche mais cette fois-ci aux conséquences catastrophiques ! ! Pour la première fois, c’est l’empire qui déclare la guerre. Fin été 1682, après avoir reconnu officiellement un mouvement " national " hongrois anti-autrichien, et fort du soutien de la France, le sultan engage les hostilités et envahit la frange autrichienne de la Hongrie. Mal lui en a prit ! L’Autriche réagit promptement et forme une coalition anti-ottomane ( la Sainte Ligue) avec Jan Sobieski le polonais, le pape qui prêche la croisade et des contingents européens ( portugais, espagnoles, allemands, italiens...). Le sultan marche sur Vienne et l’Europe retient son souffle pendant le second siège de Vienne (juillet-septembre 1683). Malheureusement, au moment où Vienne semble condamnée, celle-ci est sauvée par une intervention miraculeuse de l’armée polonaise. Les troupes ottomanes se retirent dans le désordre, poursuivies par l’armée polonaise et impériale, elles subissent une écrasante défaite à Cran en novembre 1683, la défaite la plus catastrophique de l’empire depuis son existence ! En décembre, Kara Mustapha est exécuté.
L’année 1683 marque un tournant, elle provoque l’effondrement total de l’armée ottomane, surtout, elle va permettre un renforcement de la sainte ligue avec l’adhésion de Venise et de la Russie. L’Empire va devoir lutter sur plusieurs fronts dans une lutte inexpiable, sa survie en dépens :lutte contre les impériaux en Hongrie/Serbie/Bosnie, contre les polonais en Ukraine, contre Venise en Dalmatie/Morée, contre la Russie en Crimée et dans les Balkans. Or, parallèlement, l’Etat se désagrège littéralement, l’armée, ce qui l’en reste, se révolte, des rébellions populaires éclatent partout, le chaos règne. Pour certains observateurs, l’empire n’en a plus pour longtemps, et c’est la curée : Les autrichiens occupent toute la Hongrie, Sobieski reprend la Podolie, Venise débarque en Morée... Signe extrême d’un dérèglement de l’Etat, malgré le péril, Mehmed IV passe son temps au harem ... d’où sa déposition en 1687. Son règne a ce quelque chose de paradoxale qui combine l’avancée extrême de l’Empire turque en Europe avec la Podolie, et la défaite de Cran qui marque le début du retrait.
Suleyman II
(1687-1691), pusillanime, a peu d’envergure. Le chaos domine, Istanbul est ravagée par des soldats rebelles, pendant 5 mois, la terreur s’abat sur la capitale où les janissaires font la loi. L’avancée des autrichiens se poursuit, ils prennent Belgrade en septembre 1688 puis Nich pendant l’été 1689, la voie leur est ouverte vers Istanbul ! Cependant, par un retournement surprenant, un sursaut salvateur réveille l’empire. L’armée complètement laminée est réorganisée très rapidement, et surtout la nomination de Fazil Mustapha pacha (un Köprülü) au grand vizirat stoppe net la chute de l’empire. Le nouveau grand vizir, à coup de réformes et de répression, a les mais libres pour faire une contre-offensive. L’année 1690 est celle du redressement, les autrichiens, surpris, reculent, Belgrade est reprise fin 1690. Grisé par son succès, Fazil se lance à corps perdu contre l’armée impériale, mais il tombe dans une embuscade et l’armée ottomane se fait écraser à Slankamen en août 1691. Un mois avant, Suleyman II expirait.Avec Ahmed II (1691-1695), la guerre se stabilise, les fronts sont gelés. Le sultan meurt dans l’indifférence la plus totale.
Mustapha II
(1695-1703) laisse le pouvoir réel à ses conseillers. Plusieurs campagnes sont lancées contre les autrichiens avec quelques succès mais les ottomans se font anéantir à Zenta par le prince Eugène en septembre 1697. Précédemment, Pierre le Grand de Russie a envahi la Crimée et pris Azov11. Ces deux revers entraîne un désir de paix chez les ottomans, le sultan nomme Amca Zâde Hüseyin pacha grand vizir pour mener à bien les négociations. Celles-ci sont menées à Karlowitz (1699) sur la base de l’utis posseditis ( chacun conserve ce qu’il a acquis). Le repli est d’envergure :- l’Autriche conserve la Hongrie ( moins le Banat) et la Transylvanie.
- La Pologne récupère la Podolie et une frange de l’Ukraine.
- Venise récupère la Morée et conserve ses conquêtes de Dalmatie et celles de la mer Egée.
Les négociations avec la Russie échouent d’où un traité séparé signé à Istanbul en juillet 1700 : Les Russes conservent les territoires conquis sur la mer d’Azov et le long du Dniestr.
Au delà des pertes territoriales, les conséquences du traité de Karlowitz sont d’importance :
Il inaugure une ère nouvelle dans les relations de l’Europe avec l’empire ottoman. Désormais, l’Europe a pris conscience de l’existence d’un " malaise ottoman ", de la faiblesse interne de l’empire, et fort de ce sentiment, l’Europe passe dés lors à l’offensive. A partir de 1683, les ottomans sont dorénavant sur la défensive, l’ère de l’expansion est achevée, celle du repli s’amorce.
De plus, le recul territorial provoque un choc moral chez les ottomans, ébranle leur assurance, met à mal la confiance qu’il portait à leur système. Pour la première fois, le système ottoman est critiqué face aux systèmes européens modernisés, il faut évoluer tout en conservant. Le XVIIIe siècle, c’est celui des réformes ... et de leurs opposants ! L’empire va-t-il réussir à inverser le courant du déclin ? ?.
II ) Les institutions de l'empire ottoman :
C’est par les nombreuses guerres qu’ils menèrent et les alliances qu’ils conclurent que les Osmanli purent fonder une telle puissance dont les bases reposaient surtout sur l’armée, formidable outil de conquête mais piètre instrument de maintien. Quant à l’état et ses institutions intrinsèques, il garantit le fonctionnement de l’empire.
1> L’armée ottomane, des Ghazis aux janissaires :
a) principes généraux et notion de Devshirme :
L’armée ottomane du début de l’empire à son apogée a considérablement évolué. Les premières forces ottomanes étaient constituées essentiellement de troupes montées, plus exactement de cavaliers nomades recrutés dans les différentes tribus turcomanes d’Anatolie, cavaliers mus par l’idéal des ghazis12. Evidemment, malgré la motivation religieuse, ces troupes ne peuvent convenir à un empire qui perdure. Déjà, la fidélité de telles troupes n’est jamais sure, la plupart d’entre elles est plus fidèle aux chefs de tribu dont elles sont issues qu’au sultan lui-même. De plus, cette cavalerie est par définition irrégulière, elle ne constitue en rien une armée permanente. Face à un Etat qui acquiert les dimensions d’un empire, il devient nécessaire de disposer de troupes gagées et donc plus fidélisée et disponibles. C’est Orkhan l’auteur d’une telle évolution. Il introduit face à la cavalerie nomade une infanterie salariée ( dite l’infanterie des Yayas) et une cavalerie régulière ( le corps des Müsellem), toutes les deux avec une majorité de chrétiens ! Si la cavalerie nomade était totalement musulmane, turque et d’origine anatolienne, à partir d’Orkhan, l’armée ottomane acquiert un caractère dual avec l’incorporation en son sein d’éléments de la population chrétienne conquise, c’est-à-dire de troupes certes converties mais initialement catholiques. L’armée ottomane a réussi le coup de maître d’incorporer des vaincus pour défendre l’Empire. Avec Mourad I, l’originalité de cette structure islamo-chrétienne va se renforcer, il est sans aucun doute à l’origine de l’armée ottomane moderne telle qu’on pourra la voir sous Suleyman I. En effet, Mourad I prend deux mesures importantes :
- Il introduit le système des " Timars ". Les timars sont, mutatis mutandis, des fiefs qui vont servir à rémunérer les cavaliers nomades donc a les rendre plus fidèles. La plupart d’entre eux, rétribués de la sorte, deviennent ce qu’on appelle des timariotes.
- Surtout, il crée un corps d’élite qui lui est totalement dévoué, celui des Kapikullari ou " esclaves de la Porte " qui sont à l’origine des janissaires13. Sous Mourad II et Mehmed II, le corps s’institutionnalise et acquiert plusieurs caractères essentiels : Il devient l’élite de l’armée reléguant la cavalerie des timariotes au rang de force d’appoint ; Il constitue un corps régulier, salarié et fidèle ; Et il se singularise complètement par son recrutement, la totalité de ses troupes sont là aussi d’origine chrétienne !
Comment expliquer que se sont les jeunes chrétiens des territoires passés sous domination ottomane qui ont conféré à l’armée turque sa puissance ? Pour saisir ce paradoxe, il faut comprendre que les ottomans ont eu recours à un système de recrutement très particulier qu’on appelle " le système Devshirme ". Qu’est-ce ?
Il s’agit simplement d’un recrutement normalisé et régulier parmi les peuples chrétiens conquis pour en faire des serviteurs de l’Etat musulman, aussi bien dans le domaine administratif que militaire. Comment ? Par des levées forcées et systématiques environ tous les 5 ans de 2000 à 12000 jeunes chrétiens imberbes (10-15 ans) dans les villages des Balkans. Les recrues doivent être célibataires et ne doivent pas être enfant unique. Il s’agit bien d’un " rapt " d’enfants organisé et institutionnalisé. Chaque groupe d’enfants ainsi recruté sont envoyés à Istanbul , circoncis, ils sont placés dans des familles turques pour apprendre la langue et sont convertis à l’Islam. Plus tard, ils vont dans des " centres de formation " pour y subir une sélection physique et intellectuelle très poussées. A l’issue, les adolescents sont affectés dans deux domaines différents : Ceux qui ont montré de bonnes aptitudes sont mis dans le groupe des " jeunes du service intérieur "( Iç oá lan ) formés pour devenir les pages du palais au service du sultan. Les autres sont envoyés dans des groupes de cadets ou ils subissent des entraînements poussés pour devenir enfin janissaire ou Kapikulu. Pour en finir avec ce système de recrutement spécial dit Devshirme, insistons sur le fait qu’il ne s’applique qu’aux enfants chrétiens à une exception près, les enfants des musulmans de Bosnie qui ont un statut spécial. De plus, ce " ramassage " est une superbe opportunité pour les jeunes recrues issus de la paysannerie, ces enfants sont promus à un bel avenir, à une belle promotion, c’est pourquoi le système est très souvent recherché par les familles.
Ainsi, à partir de Mourad II et Mehmed II, l’armée ottomane présente désormais un double faciès, d’un côté les troupes dites de province ou troupes " féodales " ( issues des cavaliers nomades), de l’autre les Kapikullari appelés aussi les janissaires.
b) L’armée des Kapikullari / Janissaires :
Cette " légion étrangère " ottomane ne dépassera jamais 40000 hommes tous issus du devshirme. Ces membres n’ont pas le droit d’exercer une autre activité que l’entraînement militaire, ils font voeu d’obéissance au sultan et à leurs officiers qui ont le pouvoir de les punir par la peine de mort (strangulation avec une corde d’arc). Armée d’élite, disciplinée, chaque unité de cette garde prétorienne a pour insigne de parade une ... marmite de bronze (dite Kazan). Ils doivent tous faire voeu de célibat et d‘austérité, n’ont pas le droit de se marier, leur seul famille, c’est leurs compagnons de corps. Censés rester constamment sur le pied de guerre, ils doivent de toute façon rester dans les casernes et suivent un entraînement régulier. Salariés, ils reçoivent des gages trimestriels. Tous portent en travers de leur bonnet une cuillère en bois dorée (symbole de la convivialité autour du feu). En temps de paix, ils ne portent pas d’armes sauf un couteau à la ceinture, et ils assument des fonction de pompiers ou de policiers dans la capitale. Ils partent à la guerre au cri de Padischah14 ! et, sous le commandement des chefs d’unités (Bölük-bas) et des capitaines (Taia-bas) qui sont à cheval, ils marchent en désordre mais le rôle de chacun est défini au moment de l’action. Vêtus de soie, avec une coiffure spéciale (bonnet à plumes), ils n’ont pas le droit à l’alcool mais consomment l’opium et du Cahveh (café) qui leur est strictement réservé. Hormis leur fonction militaire, certains d’entre eux sont spécialisés, comme les Segbans qui forment plusieurs bataillons, et qui ont pour fonction de servir de garde personnelle au sultan à tout moment. Quant aux Bektachi, ils servent d’ " aumôniers " et forment un bataillon particulier.
Armée principale du sultan, l’armée janissaire est composée de trois corps : l’infanterie, le corps de la cavalerie Kapikulu et le corps d’artillerie.
º L’infanterie des janissaires forme la partie la plus importante de l’armée Kapikulu. Le corps est divisé en 101 bataillons (Orta) commandés par les Corbacis. On dénombre 5000 fantassins janissaires au XVe siècle, 15000 en 1550. Le cimeterre au côté, armé d’une arquebuse, c’est le corps le plus important de l’armée et sans doute le plus efficace. Servent de police urbaine dans les provinces et dans la capitale en temps de paix.
º Le corps d’artillerie (Topçu ocagi) :
Organisé sous Mourad II, ce corps atteint sa pleine efficacité avec Bayézid II en prêtant assistance à l’infanterie janissaire. L’artillerie est divisée en bataillons, compte 1100 hommes en 1574, 5000 au XVIe siècle, et il peut s’avérer très efficace ( la bataille de Mohacs a été remportée grâce notamment à l’action de l’artillerie). Pour éviter de ralentir trop l’armée en marche, Mehmed II crée un corps de transport des canons (Top arabaci) qui véhicule les armes pendant les campagnes. Toujours là au XVIIIe siècle, ce corps va prendre beaucoup de retard, il perdra en efficacité et sera contesté, d’où des réformes pour tenter de créer une artillerie plus moderne15 .
Deux corps sont attachés à celui de l’artillerie : les lagimciyan (sapeurs-mineurs) chargés de saper les murailles des villes lors de siège, et les Humbaraciyan (les mortiers) chargés de faire fonctionner les mortiers et les mines pour les sièges.
º La cavalerie Kapikulu ( Süvarileri) :
Le corps des janissaires comporte sa propre cavalerie. Tout à fait distincte des cavaliers nomades, elle est entretenue à Istanbul. Désignés le plus souvent sous le nom de Sipah (cavaliers) ou Bölük halti (les hommes du régiment), 6 régiment composent cette cavalerie, les deux derniers dits Silahtar ( ceux qui portent les armes) et Sipahi oglan ( les enfants cavaliers) forment l’élite d’icelle et ne combattent que sur la droite du sultan, ils sont responsable de sa protection. Les quatre premiers, dits Bölükat-i erba’a, sont divisé en ailes droites et gauches et opèrent de chaque côté du sultan pendant la bataille. Tous jouissent de salaires plus élevés et d’un prestige plus grand que le corps d’infanterie. Armés de cimeterre, de lances, d’arcs, peu de pistolets, ils comptent 6000 hommes au XVIe siècle, 22000 au début du XVIIIe siècle.
c) Les forces dites de province :
Le gros de l’armée ottomane est formée de troupes " féodales " dispersée dans les provinces dont la grosse majorité représente les " timariotes sipahi " (qu’on peut traduire par les cavaliers féodaux). C’est en effet le système des timars qui fournit la plupart des cavaliers servant le sultan. Le timar, c’est un " fief " octroyé par le sultan à un individu en vue de lui assurer les moyens d’existence, et en contrepartie, le détenteur doit le service militaire au sultan. Le timar est comme un salaire versé en retour du devoir militaire. Le possesseur doit être capable de se fournir l’équipement complet du cavalier et de partir avec en cas de convocation pour une campagne. Si le revenu du timar dépasse un certain seuil, le timariote nanti doit entretenir et emmener avec lui un ou plusieurs autres cavaliers (dits Cebeli ), le tout à sa charge. En cas de campagne, tous les propriétaires de timar sont convoqués par les gouverneurs de province et rassemblés sous le commandement de leur bey. Le sipahi qui élude la convocation perd son timar. En général, les sipahis rentrent chez eux pour l’hiver (temps des semailles). En 1527, 27800 sipahis forment avec leurs cebeli une force de 70-80000 hommes. De plus, environ 10000 timariotes sont membres des garnisons des forts. En 1607, 45000 sipahis forment une force de 105000 hommes.
2> L’Etat ottoman et la gestion de l’empire :
º Le Sultan :
L’Etat ottoman, c’est le sultan et à travers lui la dynastie des Osmanli dont la pérennité étonne encore ( de 1280 à 1922 !). Le souverain est omnipotent, maître et propriétaire de tout et de tous, biens comme individus. Aucun bien ni aucune terre n’est propriété définitive, aucune charge transmissible, pas de seigneurs qui dominent des régions, pas de noblesse héréditaire qui puisse contester l’autorité des Osmanli. Une puissance absolue au sens propre du terme (absolure en latin= " au dessus de ") et dans tous les domaines, les Osmanli incarnent sans mal un modèle de pouvoir, celui despotique décrit par Machiavel ou Montesquieu. Certes, en théorie, le sultan n’est pas au-dessus de tout, il doit comme tout bon musulman se soumettre à la seule loi qui prime, la Charria que seuls les docteurs de la Foi peuvent interpréter. Or le sultan, c’est l’ombre de Dieu sur terre, il est comme son vicaire, regarder le sultan, c’est accéder à Allah, obéir au sultan, c’est obéir à Dieu !. Le sultan pour gouverner, prend l’habitude d’exprimer sa volonté par des décrets authentifiés par son Tugra (sceau). Toutes nominations et charges découlent de lui (voire du grand vizir). Il est le chef suprême des armées qu’il mène en campagne personnellement (ce n’est plus le cas après Suleyman I), et cette fonction de chef militaire est ce qui légitime le plus son pouvoir, notamment en tant que Ghazi (commandant des soldats de Dieu dits Ghazis). Néanmoins, hormis l’aspect religieux, certains facteurs ont pu contribuer à contrarier l’omnipotence du sultan : Les janissaires qui deviennent rapidement une force d’opposition et de contestation, très conservateurs, ils vont finir par avoir une influence déterminante dans le choix des sultan ; Le harem et la cour, lieux d’intrigues et de cabales ; Le grand vizirat dont le pouvoir va en augmentant ; Les querelles meurtrières entre les successeurs du sultan au pouvoir. En effet, le droit turc veut que tous les biens du père mourant soient divisés entre tous ses fils, d’où de véritables guerres entre héritiers. Ce principe étant incompatible avec l’intégrité de l’empire, une méthode va devenir rapidement courante : le fratricide institutionnalisé, le sultan a son avènement fait massacrer tous ses frères !, comme dit le Coran, " Dieu n’aime pas la discorde "(sourate II).
º Le Divan :
Si au début le sultan gouvernait seul l’empire, très rapidement, face à la complexité croissante des affaires du gouvernement, face à l’impossibilité de régler seul toutes les tâches, le sultan délégua des fonctions à des ministres dits vizirs qui discutèrent la politique du gouvernement dans des réunions appelées Divan-i Hümayun (ou Conseil Impérial, ou Divan, sorte de conseils des ministres, c’est l’organe central principal de l’organisation ottomane). Au début, le divan est présidé par le sultan puis, peu à peu, c’est l’un des vizirs qui est choisi pour représenter son maître à la tête du conseil, c’est le Sadr-i-azam ou grand vizir. A partir du XIVe siècle, le divan se réunit plusieurs fois par semaine à la tête duquel le sultan, mais le plus souvent le grand vizir, discute de la politique de l’empire assisté par des vizirs dont le rang et l’importance sont symbolisés par des queues de cheval appelées " tuá " ( vieux symbole turc de l’autorité, le nombre de queues dépend du rang, ainsi les vizirs sont décorés de deux tuá , deux queues, le sultan lui en a quatre). La salle du divan surmontée d’une coupole est située dans le Sérail (palais). La composition du divan se décrit comme suit (voir l’illustration ) : Au centre, le grand vizir. A gauche s’installent les 2 Kadi Asker (un pour la Roumélie16 , l’autre pour l’Anatolie), ce sont les supérieurs de tous les kadi (juges) de l’empire, et ils répercutent au local toutes décisions prises au divan en matière de justice et de droit. Sur le côté droit de la pièce siègent les 3 Tefderdâr, ils remplissent une fonction qui se rapproche de celle de ministre des finances. L’un des 3 commande les deux autres, il est le Bach Tefderdâr ou " conservateur des registres ", il a la haute main sur toutes les finances et la fiscalité. En face, sur le côté gauche, se trouve le Nishanci ou " chef de la chancellerie impériale " entouré par des notaires et des scribes, ces derniers sont toujours présents au conseil. Peuvent siéger aussi les beylerbey17 , le kapudan pacha (chef de la flotte), le reis ul-küttap (chef des scribes) et le baç tercüman (interprète officiel). L’aga des janissaires est dans une galerie proche, prêt à intervenir avec ses hommes en cas de problème. Remarquez le personnage au-dessus du grand vizir derrière une petite fenêtre, c’est le sultan. Ce dernier, s’il perd l’habitude d’assister au conseil, peut surveiller les actions de son grand vizir par le biais de cette petite fenêtre. Au milieu de la pièce sont les solliciteurs, en effet, tout sujet, étranger ou pas, peut solliciter une audience au divan pour y exposer une requête. Par la suite, le grand vizir expédie les affaires courantes puis, une fois le conseil terminé, rend compte au sultan. Notez pour finir sur le divan, que tous ses membres ou presque sont issus du devshirme. Voilà cette situation fort paradoxale d’un Etat musulman et turc dirigé pour l’essentiel par des non-turcs convertis. Il est extraordinaire que des étrangers aient œuvré aussi longtemps à la conservation de l’état qui les a soumis et asservis. Le fait est totalement inédit.
º Les différents services :
En dehors du cadre gouvernemental et militaire, la classe dirigeante ottomane sert le sultan selon 3 grands services :
À L’institution du savoir ( Ilmiye) qui regroupe les sujets spécialisés en connaissances islamiques ( Ilim) et pour cela dits " hommes cultivés " ou Uléma ( âlim au singulier) et couronnés du titre d’efendi ( honnête homme). Les ulémas doivent interpréter et faire appliquer la loi de l’Islam, ils ont la charge de l’éducation et des tribunaux ( où figurent les kadis ou juges), ils sont nommés par le sultan.
L’institution du Palais, le premier des grands services qui regroupe tous les hauts dirigeants de l’Etat. Ce service est très polyvalent, il gère à la fois le bien-être du sultan et de sa famille, l’administration de l’empire et les affaires étrangères. Il est divisé en trois grandes sections :
Ô Le harem qu’on ne décrira pas ici. Il est protégé par des eunuques noirs qui sont dirigés par le dar üs-saade agasi ( ou aga de la résidence du bonheur, ou aga noir ), personnage fort influent car il a accès directement au sultan ( la proximité du sultan confère honneur et prestige).
Ô Le service intérieur ou l’Enderun : C’est là que sont logés les serviteurs de l’Etat. C’est dans l’Enderun que se situent les réunions du Conseil Impérial ainsi que les réceptions des ambassadeurs. Sous la direction de l’aga noir, le service intérieur regroupe plusieurs départements : la Has oda ou chambre privée est le département le plus haut placé car il assure le service général du sultan et veille sur les reliques saintes. On y trouve le valet personnel du sultan ( le Cohader aga ) qui commande les pages de son service. La Hazine odasi ou chambre du trésor qui gère toutes les finances et la richesse personnelle du sultan. La Kiler odasi ou les cuisines etc... En bas de la hiérarchie, on trouve la Büyük oda (grande chambre) et la küçük oda (petite chambre) qui organisent la formation des pages (les Iç oglan). Ces derniers une fois formés montent peu à peu les échelons de l’enderun pour accéder à la chambre privée, celle qui confère le plus de prestige. Après, ils sont promus soit dans la classe dirigeante soit dans le service extérieur.
Ô Le service extérieur ou Birun : C’est la partie extérieure de l’institution du palais. On y trouve une multitude de fonctionnaires répartis en plusieurs groupes principaux : Les membres de l’Uléma, c’est-à-dire, les " savants " dont l’imam, le médecin du sultan, son précepteur, son astrologue... ; Le sehremini ou Maire du palais qui dirige les architectes et s’occupe des édifices publics ; Le matbahi âmire emini, ou cuisinier en chef qui surveille tous les repas ; Le darphane emini en charge de la monnaie. On trouve encore le chef des gardes des portes qui surveille tous les portiers du palais ; Les gardes du corps (bostanci ocaá i) menés par le bostanci bachi responsable de tous les jardins du palais et de sa surveillance. ; Le corps de müteferrika composé des fils des princes vassaux gardés en otage comme garant de la bonne conduite de leur père.
 Chancellerie (Kalemiye) et finance (Maliyé) :
L’un des corps les plus important de la classe dirigeante est celui des scribes ( Kâtip, Küttâp) qui sont répartis vers le divan et vers le trésor impérial, ils sont dirigés par le reis ul-küttap. Dans le gouvernement, ils occupent une place essentielle, ils y assument parfois une fonction proche de celle de secrétaire d’état. Pour les finances, le bach defterdar en dirige toutes les structures avec une pléthore de scribes répartis en différents département. On distingue le Hazine-i hassa (trésor personnel du sultan) et le Hazine-i âmire (trésor de l’état).
º Le gouvernement des provinces :
L’empire a très tôt été divisé en provinces ou beylerbeylik. A leur tête, un beylerbey ou gouverneur provincial, fonctionnaire nommé par le sultan, issu très souvent du Devshirme, à tout moment révocable, il a un rang de deux tuá et prend le titre de pacha. Les deux beylerbey les plus importants sont ceux de Roumélie et d’Anatolie. Chaque beylerbeylik est subdivisé en sandjak, l’unité de base du système provincial, dirigé par un sandjakbey. A la fois militaire et administrateur, ce fonctionnaire veille à la justice, à l’économie, aux armées. Chaque sandjak regroupe plusieurs subâsilik conduits par un subasî qui a les mêmes devoirs et droits que le sandjakbey mais à plus petite échelle (villes, villages). Sandjakbey et subâsi sont des timariotes. C’est notamment le sandjakbey qui, sous l’ordre du beylerbey, convoque tous les sipahis timariotes pour partir en campagne.
º Le sérail de TOP KAPI :
Le terme de " sérail " désigne la résidence et le palais du sultan, sa cour et l’ensemble de ses serviteurs. Situé en plein cœur de l’ancienne Byzance, sur le site dit de Top Kapi, construit par Mehmed II après 1453, le sérail est un vaste enclos enfermé dans de hautes murailles qui forment une vraie forteresse, une ville dans la ville. Il est organisé selon un système de portes ( bab). La première porte dite Bab-i-hümayun (la Porte Impériale) est gardée constamment par 150 kapigis ( gardes des portes ) armés de piques et d’arcs. Le visiteur éventuel, une fois franchi cette porte, entre dans la première cour autour de laquelle sont disposés un hôpital, des cuisines, des magasins, des casernement, des logements et une armurerie. Cette cour fait partie du Birun. Sur le côté de la cour, deux blocs édifiants sont appelées " Les deux pierres de l’exemple ", c’est là que sont exposées les têtes des hauts fonctionnaires indignes ! L’extrémité de la cour est délimitée par une seconde porte appelée Orta Kapi (Porte du Milieu) gardée aussi par des kapigis. Une fois franchie, elle permet d’entrer dans une seconde cour pavée de marbre blanc bordée de cyprès et de fontaines, de cuisines et d’écuries. Presque en face de la porte, on trouve le pavillon surmonté d’un dôme de la salle du divan. Le Arz Odah est un autre petit pavillon carré où le sultan reçoit les ambassadeurs étrangers en audience privée. Une troisième porte, Bab-i saadet (Porte de la félicité), est rarement franchie, son passage est strictement réservé et limité. Gardée par le grand chambellan et ses gardes, elle permet de pénétrer dans l’Enderun, les appartements privés du sultan où vivent la maison du souverain et son harem. Derrière, les jardins du sérail s’étendent jusqu'à la mer.III ) Réformes et déclin , 1699-1774 :
1> De Karlowitz à la fin de Lale Devri 1699-1730 :
Après le traité de Karlowitz,
Mustapha II prend conscience qu’il est urgent de réformer l’empire. Il confie cette tâche à son grand vizir Amca Zâde Hüseyin pacha (qui souvenez-vous fut chargé de négocier les accords de 1699), l’un des plus grands réformateurs ottomans du XVIIIe siècle. Il fait partie de ceux qui estiment qu’il faut absolument moderniser le système ottoman tout en conservant les traditions (les réformateurs ottomans auront souvent comme spécificité de vouloir modifier...sans rien changer en profondeur ). C’est surtout à partir de lui que l’intelligentsia ottomane prend conscience d’un retard turc. S’il prend des mesures dans le domaine économique et financier (restauration de la monnaie, baisse des impôts, incitation à l’agriculture, effort pour développer l’industrie...), ses principales mesures concernent surtout l’armée : Epuration du corps des janissaires devenu pléthorique et parasitaire ( sur 70000 janissaires avant Karlowitz, 10000 seulement accomplissaient leur devoir militaire ! Zâde réduit leur nombre à 30000 environ. De même, le corps d’artillerie passe de 6000 hommes à un millier ). La cavalerie " féodale " est assainie, elle reçoit des apports de nomades anatoliens, les devoirs des timariotes sont sévèrement contrôlés18 . Des efforts aussi sont opérés sur la marine ottomane avec le fidèle du sultan Mezamorto Hüseyin pacha : On reprend les innovations européennes pour transformer les navires à rames en vaisseaux à voile, on construit de nouveaux bâtiments. La flotte est réorganisée, elle est désormais subdivisée en escadres sous les ordres d’un derya bey (bey de la mer) qui dirige les capitaines et leur navire. Surtout, un état-major est crée sous la direction du grand amiral avec ses principaux adjoints. On met fin à la vénalité des postes et on crée un corps spécial d’artillerie propre à la marine.Cependant, les tentatives de modernisation du vieux système ottoman se heurte à l’opposition de ceux qui en tirent bénéfice. Une cabale d’opposants obtient la disgrâce de Zâde Hüseyin en septembre 1702. Ce grand réformateur a compris que l’armée, rempart de l’empire, devait impérativement évoluer. Le sultan a passé outre, il va s’en mordre les doigts, il est déposé en août 1703 par les janissaires qui se sont révoltés pour une vulgaire histoire de soldes.
C’est son frère,
Ahmed III (1703-1730) qui obtient le sultanat. Si au début de son règne, il est sous la houlette des janissaires grâce à qui il est au pouvoir, il réussit à se dégager peu à peu de cette tutelle pesante. Intéressé par les affaires de l’Etat, instruit (poète), il change souvent de grand vizir pour mieux les contrôler. Il établit son autorité en plaçant ses hommes aux poste clés (grand vizirat, aga des janissaires, aga noir...). Il s’entoure de ministres compétents pour gouverner :Ainsi, Corlulu Ali pacha, gouverneur de Syrie, grand vizir jusqu’en 1710, réformateur. Il poursuit la réforme de la marine, épure les janissaires, équilibre le budget. Il a surtout le mérite de tenir l’empire en dehors des querelles européennes ( guerre de succession d’Espagne et Grande guerre du nord). Néanmoins, après la défaite de Charles XII de Suède à Poltava contre Pierre le Grand en 1709, Ali est contraint d’accueillir Charles XII. Or ce dernier, présent à la cour, va être à l’origine de la formation d’un fort parti belliciste, qui prône la guerre contre la Russie, et qui va exercer d’importantes pressions sur le sultan et le gouvernement pour obtenir gain de cause. Les intrigues de cette faction va entraîner la chute d’Ali en 1710. La cour devient un véritable forum d’intrigues des ambassadeurs étrangers. Face à l’influence croissante de la faction anti-russe, Pierre le Grand décide de prendre les devants et lance un ultimatum à l’empire qui répond par une déclaration de guerre (décembre 1710), la rocambolesque guerre du Prout commence !Le conflit dit " du Prout " débute par une vaste offensive russe. Via la Pologne, les Russes pénètrent avec facilité en Moldavie (début juillet 1711) avec l’espoir d’obtenir le ralliement de la population en majorité catholique. Or, le soutien de la population est une chimère, de plus, la région est ravagée par une famine, et l’armée ottomane vient d’entrer en Moldavie, Pierre le Grand décide de battre en retraite mais il se fait totalement encercler alors qu’il traverse la rivière dite du Prout ! Pilonner très sérieusement par les canons turcs, l’armée russe frôle l’anéantissement, Pierre est contraint de demander des négociations. Celles-ci aboutissent au traité du Prout (23 juillet 1711), confirmé par le traité de juin 1713 : Les Russes doivent rendre tous les territoires de Crimée annexés à Karlowitz ! l’empire sera tranquille sur ce front pour deux décennies !
La cour exulte, du coup, une seconde faction belliciste acquiert beaucoup d’influence en défendant les thèses d’une guerre contre Venise pour reprendre la Morée. Cette faction est dirigée par le grand vizir Silahan Damât Ali pacha qui réussit à persuader le sultan de déclarer la guerre à la Sérénissime en décembre 1714. Si les Ottomans remportent une victoire militaire (reprise de la Morée pendant l’été 1715), le grand vizir subit un grave revers diplomatique en Avril 1716, l’Autriche décide en effet de soutenir Venise. Le grand vizir lance ses 100000 hommes contre les autrichiens, mais il se fait écraser par Eugène à Peterwaradin en août 1716 ! Belgrade tombe aux mains des autrichiens un an plus tard. L’empire va t-il revivre l’invasion autrichienne des années 1690 ? En août 1717, Ahmed III nomme comme nouveau grand vizir Nevsherhüli damât Ibrahim pacha qui est chargé de mener les négociations avec Vienne. Le traité de Passarowitz est signé en juillet 1718, basé sur le principe de l’utis posseditis, l’Autriche acquiert Belgrade et le Banat avec la ville de Semendria, elle abandonne littéralement Venise qui perd par contre la Morée au profit de l’empire.
Comme après Karlowitz, le traité de 1718 va entraîner une crise morale et une sérieuse remise en question chez les ottomans. Cette fois-ci, la classe dirigeante dans sa presque majorité réalise l’existence d’un retard ottoman, le système est désadapté face à une Europe moderne, cette révélation constitue le " malaise ottoman ". En tout cas, le grand vizir Nevsherhüli va dominé l’Etat jusqu’en 1730 (un record de longévité ). Son vizirat est important pour deux raisons :
À IL ouvre une période de paix qui va perdurer pendant douze ans. et qui va fortement marquer le XVIIIe siècle ottoman. Elle débute par une impulsion du grand vizir qui décide de construire un nouveau palais pour le sultan (palais qui porte le nom de Sa’dabat, le lieu du bonheur), et qui lance par ce fait un véritable mouvement de mode dans la classe dirigeante qui se jette dans une frénésie de construction palatiale (où on imite à satiété le modèle de Versailles). Ces palais qui fleurissent par-ci, par-là, sont toujours accompagnés de parcs et jardins où l’on cultive avec un engouement extraordinaire la tulipe. On porte un tel intérêt à cette fleur que cette période en prendra le nom ( d’où la " période de la tulipe " ou " Lâle devri "). L’époque est aux divertissements en tout genre, aux spectacles, aux plaisirs et aux excentricités. Surtout, elle marque une ouverture très nette aux coutumes européennes et elle voit un éveil important de la vie intellectuelle ( installation de la première imprimerie à Istanbul, deux siècle après Gutenberg !).
Á Ministre réformateur, Nevsherhüli damât Ibrahim s’intéresse beaucoup aux affaires étrangères. Il est le premier à penser qu’il est important pour la politique étrangère de l’empire d’avoir une bonne connaissance de l’Europe. Il entre donc en contact avec des ambassadeurs européens à Istanbul et commence pour la première fois à envoyer des ambassadeurs ottomans à l’étranger ( à Paris et Vienne) avec pour principale fonction de rassembler des informations sur ces pays. C’est la première brèche dans le sacro-saint isolement des Ottomans, dès lors, l’empire ne peut plus se permettre d’ignorer l’évolution de l’Europe.
Cependant, malgré quelques réformes hardies, l’empire entre dans une nouvelle période de crise économique et budgétaire. Des soulèvements populaires réapparaissent, la famine et la peste sévissent. De plus, le période des tulipes, qui s’achève autour de 1730, n’exclut pas tout conflit. En 1723, des événements dramatiques en Perse (invasion de tribus afghanes qui mettent en péril la dynastie Séfévide), inspirent le grand vizir qui décide une invasion de l’Azerbaïdjan et du Caucase (occupé déjà par les russes). Le conflit reste latent puis s’exacerbe en 1730, au moment même, une rébellion éclate à Istanbul avec à sa tête un certain Patronna Halil (un janissaire), Damât Ibrahim est exécuté, le sultan doit abdiqué en octobre, l’ère des tulipes s‘achève dans le sang.
2> Guerres et paix 1730-1774
Le début du sultanat de
Mahmut I (1730-1754) est chaotique, la capitale est dominée et ravagée par Patronna Halil et ses troupes. Il faut attendre fin 1731 et la mort de Patronna pour un retour au calme.Instruit, sensible au " malaise ottoman ", Mahmut I adopte le courant réformateur. Malheureusement, deux guerres vont miner les forces vitales de l’empire et ruiner ses efforts...
L’une des grandes innovations de Mahmut I est de faire appel pour la première fois à un conseiller européen en matière militaire. Le comte Claude-Alexandre de Bonneval, français, convertit sous le nom d’Ahmed, est chargé de rendre une nouvelle vie à l’ancien corps des bombardiers (les Humbaraci) tombé en désuétude et d’en faire un corps d’artillerie moderne.. Si Bonneval présente un vrai projet de restructuration de toute l’armée ottomane, il porte surtout ses efforts sur les Humbaraci. Le corps est réorganisé et entraîné. Bonneval s’emploie à moderniser les fonderies de canons et les ateliers de production de poudre. Puis il obtient la création d’une école militaire d’ingénieurs pour l’artillerie, la première du genre. A sa mort en 1747, le corps a gagné ses lettres de noblesse mais, face à l’opposition féroce des janissaires, il sera dispersé et l’école fermée !
Hormis plusieurs réformes mineures, Mahmut I consacre son règne à deux conflits :
La fin du règne de Mahmut I ainsi que ceux d’Osman III (1754-1757) et de Mustapha III (1757-1774) permet à l’empire de connaître la plus longue période de paix de son histoire, 1747 à 1768 ! Un intermède de 20 ans rendu possible par les efforts des grands vizirs de tenir l’empire à l’écart de tout conflit. Mais avec la dissipation de toute menace extérieure, le courant réformateur est délaissé. Le système se pervertit de plus belle, les abus s’exacerbent, la classe dirigeante baigne dans une léthargie total. Seul le grand vizir Koca Mehmed Ragip pacha sous Osman III tentera quelques mesures pour lutter notamment contre les révoltes populaires devenues endémiques, mais sans grand résultat.
Le sultanat de Mustapha III (1757-1774) voit de nouveau l’empire entraîné dans un conflit contre l’Autriche et la Russie, conséquence directe de la politique expansionniste de Catherine la Grande, tsarine de Russie. En 1764, après la mort du roi polonais Auguste III, Catherine envoie ses troupes en Pologne et impose son candidat Stanislas Poniatowski. Or la politique religieuse de ce dernier va provoquer une opposition chez les polonais qui demande une intervention du sultan. Celui-ci exige de Catherine l’évacuation de la Pologne, face au refus, il déclare la guerre, on est en octobre 1768. Le conflit qui débute va avoir une portée bien plus importante que la précédente. Les russes sont beaucoup mieux préparés, leurs agents fomentent des révoltes en Serbie et au Monténégro. Du côté ottoman, le grand vizir Emin pacha est totalement incompétent en matière militaire, et il ne pourra disposer de l’aide des tartares de Crimée trop occupés par une dissension intérieure fomentée aussi par Catherine de Russie.
Ce sont les russes qui agissent les premiers sur trois fronts : le Caucasse, la Moldavie et en Crimée. Pendant l’hiver 1769-1770, l’armée russe envahit et occupe la Moldavie, Bucarest est prise en février 1770, les russes pénètrent facilement en Valachie ! Le grand vizir Emin porte ses troupes à l’encontre des envahisseurs ... et se fait littéralement annihiler à Kartal en août (l’armé ottomane a perdu les 2/3 de ses effectifs). Les russes marchent dès lors sur Istanbul ! Parallèlement, Catherine envoie sa flotte de Baltique en Méditerranée pour défier la marine ottomane. La flotte russe, sous la direction de l’amiral Alexis Orlov, reçoit l’appui de l’Angleterre où elle se ravitaille et embarque des officiers anglais. Orlov pénètre ensuite en mer Egée, effectue des raids en Morée et poursuit la flotte turque. Celle-ci, obligée de se réfugier dans le port de Tchesme, est complètement détruite par un brûlot ! La Méditerranée orientale est de fait exposée aux attaques de l’armada russe mais Orlov tergiverse et n’en profite pas.
Durant l’été 1771, Catherine envahit la Crimée et crée un Etat tartare autonome sous suzeraineté russe. En 1772, les succès russes sont complets : occupations des " deux principautés "(sous ce terme on désigne la Moldavie et la Valachie) et de la Crimée. Cependant, l’Autriche et la Prusse craignent de voir la Russie établir son hégémonie sur la région, c’est pour cela qu’ils vont essayer de la détourner d’Istanbul. Comment ? par le premier partage de la Pologne, la guerre a débuté sur une intervention ottomane pour sauver la Pologne des russe ! ! En 1773, la volonté de l’Autriche et de la Prusse de freiner les russes persuade Catherine d’entamer des négociations, mais celles-ci échouent, le sultan ne veut pas lâcher la Crimée. Les russes reprennent l’offensive. En 1774, l’arrivée du général russe Souvorov qui écrase rapidement les ottomans précipite de nouvelles négociations. Le 21 juillet 1774, le traité de Küçük Kaynarca confirme tout bonnement la perte de la Crimée qui est reconnue indépendante, les russes ont le droit d’occuper Azov et l’espace compris entre le Dniepr et le Bug, autrement dit, il acquiert ce fameux accès à la mer Noire. Tous les autres territoires doivent être évacués par les troupes russes. Le sultan doit verser une indemnité de guerre. et accorde le droit à Catherine de construire une église orthodoxe à Istanbul.
Conclusion
Si la limite de 1774 découle d’une volonté de cadrer avec la chronologie d’Alliances Royales, il me faut en guise de conclusion parachever ce sobre tableau du XVIIIe siècle ottoman. Abdul Hamit I (1774-1789) fut l’un des sultans les plus réformateurs de ce siècle. Conscient de la nécessité vitale de réformes pour sauver l’empire, notamment dans le domaine militaire, il fait venir un grand nombre de conseillers étrangers militaires (tel le baron français François de Toth chargé comme son prédécesseur Bonneval de créer une artillerie moderne) ou appelle au pouvoir des hommes compétents tel Ghazi Hasan, (amiral en 1774, qui réforme sérieusement la marine de guerre ottomane avec l’aide d’ingénieurs et d’artisans français19 ) ou Halil Hamit grand vizir réformateur de 1782 à 1785. Cependant, un nouveau conflit contre l’Autriche et la Russie en 1788-1792 s’achève par un désastre militaire. Le déclin de l’empire paraît cette fois-ci irrémédiable. L’armée n’est plus que l’ombre d’elle-même, le corps des janissaires a dégénéré, le fanatisme religieux fait son apparition, les institutions ne fonctionnent plus. Certes, Sélim III (1789-1807) va tenter de remédier à cette sombre situation en créant une armée nouvelle, à l’européenne, mais les janissaires réagissent promptement, la réforme échoue encore une fois. Son successeur Mahmut II décide d’utiliser la manière forte. A la tête d’un mouvement qui prêche la réforme en s’inspirant du modèle européen, il tente d’occidentaliser le système ottoman. Les janissaires s’y opposent, cette fois-ci, mal leur en a prit, Mahmut II les fait massacrer et abolit le corps en 1826, il abolit le système devshirme et celui des timars, une vraie table rase sur le passé. Mais il est trop tard, la survie de l’empire est débattue en Europe (la fameuse " Question d’orient "). An XIXe siècle, l’ "homme malade de l’Europe " ne doit son salut qu’au bon vouloir de quelques puissances comme la France ou l’Angleterre (principe de l’Intégrité de l’Empire ottoman dont la disparition signifierait champ libre pour l’impérialisme de la Russie ou de l’Autriche). Alors, l’empire agonise lentement, perd ses possessions une par une. En 1922, la monarchie est abolie, un an plus tard, la république de Turquie est proclamée, l’empire appartient désormais à l’histoire...
Milam (Juillet 1997)
Notes :
1 Littéralement " Prince ". Titre par la suite porté par les hauts fonctionnaires ottomans ou par certains souverains vassaux du sultan.